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La non intervention 2ème partie

Si la CGT s’associe avec des organisations républicaines amies–comme dans le cadre de la Commission de solidarité du Rassemblement populaire pour l’aide en faveur du peuple espagnol, elle développe une activité autonome. Une première souscription nationale est lancée à partir d’août 1936 auprès des fédérations, unions et syndicats pour récolter des fonds. En trois semaines, plus d’un million de francs sont récoltés et, début septembre, la barre des deux millions est franchie. En janvier 1937, la CGT a recueilli 5 350 000 francs et le fonds international de solidarité, organisé par la FSI, en totalise 8 700000. Cet argent sert à financer des expéditions humanitaires et à aider d’autres organisations. Chaque organisation syndicale participe, à la hauteur de ses moyens, à l’effort de solidarité. Il est important de souligner que dans les fédérations ou les unions départementales favorables à la non-intervention, cette campagne n’est pas démentie. En décembre 1937, l’UD du Nord informe la trésorerie nationale de l’envoi d’une somme de 10000 francs pour relancer l’élan «en faveur des vaillants lutteurs qui font barrière aux prétentions belliqueuses du fascisme international». Le Syndicat des mineurs du Nord décide un geste du même ordre. En 1938, ce sont plus de 120000 francs qui sont récoltés par l’Union départementale. Les départements frontaliers déploient naturellement une activité encore plus importante. Dans les

Pyrénées-Orientales, l’UD est en relation directe avec son homologue espagnole de l’UGT et collabore avec elle. En deux ans, elle envoie quinze tonnes de vivres de l’autre côté de la frontière(9). Au printemps 1938, au plus fort de l’afflux de réfugiés fuyant l’offensive franquiste en Aragon, l’UD des Hautes-Pyrénées s’emploie à organiser la solidarité en faveur des populations de la vallée de Cinca, ainsi que l’organisation de l’exode, l’évacuation des blessés et le ravitaillement de la 43edivision, grâce au dévouement des militants CGT qui sacrifient leurs congés pour aider les milliers de réfugiés Durant cette période, l’UD dépense 125 000 francs et obtient le soutien financier du Bureau confédéral et de l’Union des syndicats de la région parisienne.

Le Comité d’accueil aux enfants d’Espagne

Parallèlement à cette campagne de solidarité débutée à l’été 1936, la CGT va prendre une seconde initiative d’envergure. Au mois de novembre, elle décide la création d’un Comité d’accueil aux enfants d’Espagne pour accueillir et héberger le plus grand nombre d’enfants espagnols que la guerre civile a privés d’asile ou rendus orphelins. Présidé par Léon Jouhaux et Victor Basch (par ailleurs président de la Ligue des droits de l’homme), ce Comité reçoit rapidement le soutien d’un grand nombre d’autres organisations et celui de nombreuses municipalités de Front populaire. Une campagne nationale est lancée par la CGT et la souscription du Comité d’accueil est une nouvelle fois une réussite. Au mois d’avril 1937, près de quatre millions de francs de dons sont perçus Les syndicats, mais également des organisations du Rassemblement populaire et des anonymes, participent à l’élan de solidarité.

Des colonies de vacances appartenant aux syndicats, à des œuvres ou à des municipalités amies sont mises à la disposition du Comité d’accueil dès le début. Les premiers centres se trouvent pour la plupart dans les départements frontaliers, tels le camp de la Mauresque, à Port-Vendres, dans les Pyrénées-Orientales, celui de Prats de Mollo, à Perpignan, et celui de la Corniche (Jeunesses laïques), à Sète.

Plus éloignés, le Château de Montbarnier, prêté par la municipalité de Saint-Etienne, l’annexe de l’ancienne faculté des sciences de Grenoble, la colonie d’Audierne, dans le Finistère, et la Maison de Boyardville de l’Enfance coopérative, en Charente-Inférieure, sont mis à disposition. Une fois rétablis et vaccinés, les enfants sont placés soit en familles d’accueil, soit dans des colonies collectives, soit envoyés en Suisse ou en Belgique par l’inter-intermédiaire d’organisations de secours étrangères. Leur placement s’effectue sous le contrôle et la responsabilité du Comité d’accueil, qui tient compte des recommandations médicales et veille aux conditions matérielles, morales et sanitaires des établissements et des familles d’accueil. Au total, en mai 1938, on dénombre quarante-sept colonies qui hébergent 2669 enfants dans toute la France. Ce chiffre ne tient pas compte des nombreux enfants accueillis par les familles : dans le département du Nord, ils sont 400 à être pris en charge par des militants de l’UD À partir de 1938, de nouvelles colonies sont ouvertes pour répondre à l’afflux des réfugiés. En plus du château de Baillet déjà utilisé, le Syndicat des métaux parisien met celui de Vouzeron à disposition du Comité d’accueil. En Haute-Garonne, l’UD propose sa colonie de la Glacière, à Toulouse. Dans le Nord, la colonie du Cruson est ouverte à Petite-Synthe, près de Lille. À Asnières, deux centres supplémentaires sont créées en moins d’un an, portant à trois le nombre de colonies pour enfants d’Espagne dans cette ville.

On compte désormais 53 centres d’hébergement en 1939, pour 2950 enfants. Si l’on ajoute les enfants recueillis dans les familles et ils sont 1884 à être recensés, dont plus de la moitié en région parisienne, on atteint le chiffre de 5000 enfants secourus par le Comité d’accueil.

Cette augmentation des effectifs va poser de graves problèmes aux colonies. À partir de la fin 1938, nourriture, vêtements, personnel d’encadrement vont représenter une charge de plus en plus lourde, dans une période difficile où l’élan de générosité des débuts s’est largement estompé. À partir de 1939, de nombreuses demandes d’argent sont faites au Comité d’accueil aux enfants d’Espagne par des colonies en grande difficulté financière, telles celles de Valence, d’Argenteuil, de la Glacière, à Toulouse, et de l’orphelinat Francisco Ferrer du Havre. Comme au Havre, certaines se voient dans l’obligation de fermer leurs portes et de renvoyer les enfants en Espagne. Cette situation s’explique par les baisses simultanées de la trésorerie confédérale et du Comité d’accueil, alors que les besoins croissent. Elle est de plus accentuée par l’aide également fournie par la CGT aux autres réfugiés espagnols adultes, femmes et hommes, qui sont de plus en plus nombreux à s’exiler vers la France à partir de 1939, après la chute de Barcelone qui marque le début de la dernière mais très importante vague d’exode.

Non-intervention relâchée et brigadistes

Face à l’ingérence avérée de l’Allemagne, de l’Italie et du Portugal, le gouvernement français décide de procéder à la «non-intervention relâchée. Léon Blum active alors un petit groupe composé de Jules Moch, secrétaire général du gouvernement, de Pierre Cot, ministre de l’Air, assisté de Jean Moulin, de Vincent Auriol, ministre des Finances, et de Gaston Cusin, membre de son cabinet. Un appui est également fourni par Jacomet, du cabinet du ministère de la Guerre, et par Henri Laugier, directeur du cabinet d’Yvon Delbos, ministre des Affaires étrangères. La mission de ce groupe, tenue secrète, consiste à faire transiter sur le sol français, jusqu’à la frontière espagnole, du matériel militaire soviétique en faveur des républicains espagnols. Cette activité clandestine, d’essence gouvernementale, n’aurait cependant pas pu se mettre en place sans la complicité de réseaux syndicaux. En effet, parmi les hommes en charge de ce travail se trouve Gaston Cusin, dirigeant du syndicat des douanes, dont les activités d’économiste l’ont fait appeler en 1936 au cabinet du ministre des Finances, Vincent Auriol. La guerre d’Espagne va bouleverser son travail et faire «de l’ancien douanier un contrebandier pour raison d’État».
 Léon Blum le choisit comme délégué pour les relations interministérielles avec la République espagnole, fonction qu’il conservera jusqu’en 1939 et qui lui servira surtout à couvrir ses activités clandestines en faveur des républicains espagnols. Utilisant les renseignements que lui fournissent les Affaires étrangères, le ministère de la Guerre et la Sûreté nationale, il fait transiter à travers toute la France le matériel militaire soviétique, de Dunkerque à la frontière espagnole.

Une telle activité nécessite la pratique du secret et l’appui de réseaux. Cusin peut compter sur ses connaissances personnelles dans les milieux syndicaux. Des militants de la Fédération des dockers, des cheminots et des douanes, mis dans la confidence, participent au débarquement et au transport clandestin de ces livraisons).

Des convois sous plomb, avec présence d’un douanier aux côtés des chauffeurs pour marquer l’exterritorialité, aux armes étiquetées sous de fausses appellations, toutes les méthodes sont utilisées pour faire parvenir aux républicains espagnols l’aide militaire fournie par l’URSS. D’autres matériels, achetés par le gouvernement espagnol et en provenance des Pays-Bas, du Danemark ou de Belgique, sont débarqués à Bordeaux ou au Havre

pour être acheminés par voie ferrée à la Tour Carol et à Cerbère. Pendant plus de deux ans, Cusin trouve les complicités nécessaires à cette entreprise qui font de lui l’homme le plus efficace de cette mission.

Enfin, pour en terminer avec le volet militaire, nous voudrions aborder la question des Brigades internationales. Le docteur

Pierre Rouquès, directeur de la polyclinique des Bluets du Syndicat parisien des métallurgistes, est aussi le premier organisateur du mouvement d’aide sanitaire en faveur des républicains espagnols et des brigadistes internationaux. Il se rend en Espagne en octobre 1936 et jette les bases du service de santé pour les Brigades internationales et crée la Centrale sanitaire internationale. Nous pouvons également citer le cas de Marcel Paul, ancien unitaire et secrétaire de la Fédération de l’éclairage, qui se rend au nom de la CGT auprès du gouvernement républicain espagnol et obtient l’accord du ministre Anatole de Monzie pour qu’une ligne à haute tension soit jetée à la Tour Carol entre le réseau électrique français et le réseau espagnol afin d’alimenter les usines d’armement restées aux mains des républicains(23).

L’aide aux réfugiés

À partir du début de 1939, toutes les «unes» du Peuple sont consacrées au problème des réfugiés espagnols qui fuient l’avancée franquiste. La CGT met alors sa propriété de la Roche Beaulieu à la disposition des réfugiés espagnols, en priorité pour les blessés, les femmes, les enfants et les militants de l’UGT. Le 7 février, la Commission administrative se réunit pour étudier la situation de l’Espagne républicaine et les secours à apporter aux réfugiés espagnols. En ce mois de février, ce sont plus de 70 000 enfants espagnols qui se trouvent en France, sans compter les adultes. Répartis dans trente-trois camps, ils vivent dans le plus grand dénuement, présentent un état de santé inquiétant, logent et dorment dans des conditions primitives. Le Syndicat des métaux de Haute-Garonne est le premier à pointer cet état de fait. Il considère scandaleux les procédés de la police française obligeant les soldats de l’armée républicaine, traités en suspects, à repasser en Espagne franquiste. Il souligne le manque de soins et de nourriture, l’absence de toute mesure d’hygiène et de sécurité des réfugiés «parqués» dans les camps de concentration. Il demande que l’UD organise une rencontre avec les pouvoirs publics pour que la plus grande liberté soit donnée aux soldats de l’Es- pagne républicaine de choisir entre la République française ou l’Espagne nationaliste. Enfin, il propose que la CGT monte une commission d’enquête sur les camps de concentration. Quelques mois plus tard, l’UD des Pyrénées-Orientales rend un premier rapport. Elle y dénonce une situation misérable, des conditions d’hygiène qui empirent avec les chaleurs : «L’opinion publique française n’a pas réalisé ce que vraiment étaient ces camps et la conduite inhumaine, en certains moments, des autorités[...] comme si elles avaient à faire non à des hommes mais à du bétail. »

C’est dans ce cadre que le Bureau de la CGT est mandaté par la CA pour s’occuper des démarches ad-administratives en vue de l’obtention de visas vers l’Amérique du sud et l’Amérique centrale (Mexique, République dominicaine, Chili). Des dizaines de demandes de visas, d’autorisations de séjour ou d’arrêts de procédures d’expulsion sont faites en ce sens auprès du ministère de l’Intérieur. Pour les cas les plus pressants, comme lors d’une descente de police, en avril 1939, à l’hôtel de la Poste de Toulouse où des militants de l’UGT, leurs femmes et leurs enfants sont arrêtés, c’est Jouhaux qui intervient personnellement auprès du ministre. Signalons que ce type d’aide reste aux marges du mode d’action général de la CGT en faveur des républicains espagnols. De plus, d’autres services existent, spécialement prévus à cet effet, tel le Service d’évacuation des républicains espagnols (SERE), dirigé par les communistes espagnols, et la Junta de auxilio a los republicanos espanoles sous contrôle socialiste. Les Comités d’accueil aux enfants d’Espagne se transforment peu à peu en Comités d’accueil aux réfugiés espagnols. Dans l’Aude, le Comité apporte son soutien aux réfugiés du camp de Cuiza, où 850 femmes et enfants se trouvent dans le dénuement le plus total. Sans empiéter sur les directives de l’administration officielle du camp, le Comité réussit à fournir, en plus de la nourriture, les matériels les plus indispensables que les crédits alloués par les pouvoirs publics ne permettaient pas de se procurer. Grâce au Syndicat des chapeliers et à la générosité de la population, des marmites, des bassines et de la paille ont été fournis au camp. Du linge et des chaussures sont offerts par la population de Cuiza, la Bourse du travail et la section locale du Syndicat des instituteurs. Ainsi, «tous les réfugiés ont pu recevoir les vêtements et couvertures qui leur permettent de supporter plus facilement les rigueurs de l’hiver dans les vastes locaux non chauffés où ils dorment sur la paille ».

En avril, dans le cadre du Fonds international de solidarité, un Comité international spécial de secours espagnol est créé par des membres de la FSI et de la CGT afin d’aider les milliers de réfugiés espagnols. Dans ce cadre, la CGT fait appel à ses UD pour lui indiquer quels sont les centres d’hébergement, camps de concentration ou colonies dans chaque département, ainsi que le nombre approximatif de réfugiés pour envoyer les marchandises. Cette action est consacrée par la tenue, à Paris, d’une Conférence internationale d’aide aux réfugiés espagnols, les 15 et 16 juillet 1939, où 421 délégués représentant 34 pays se réunissent pour traiter de la question des camps et demander la libération des Espagnols et des volontaires internationaux. La conférence réclame le retrait des blessés des camps et privilégie, en accord avec la CGT, l’embauche des Espagnols réfugiés dans l’agriculture française. Face à une situation où plus de 100000 réfugiés refusent de retourner en Espagne après la fin de la guerre civile, la CGT se rallie donc à la solution qui consiste à les incorporer dans l’activité économique du pays et à les maintenir en France.

Au 2 septembre 1939, date de déclaration de la guerre, 40 000 enfants sont encore sur le sol français, vivant grâce à une allocation quotidienne versée par le gouvernement et à la solidarité. Si beaucoup de civils sont retournés dans leur pays, les autres ont préféré l’incertitude d’une France désormais en guerre au sort tragique qui les attendait en Espagne. En octobre 1939, il reste 58200 miliciens rassemblés dans les camps d’Agde, de Barcarès, de Gurs, de Sept-Fonds, de Saint- Cyprien et d’Argelès. On compte également près de 9000 réfugiés employés dans l’agriculture ou l’industrie, près d’un millier engagés dans la Légion étrangère et 25000 travailleurs encadrés militairement . L’action de la CGT en faveur de l’Espagne républicaine revêt donc de multiples formes. Cette solidarité, qui s’exprime par l’envoi d’aide humanitaire, l’accueil d’enfants, l’aide aux réfugiés ou l’engagement de syndiqués dans les Brigades internationale, reflète finalement assez bien la position de la CGT. Solidaire de la République espagnole, elle s’oppose dans sa très grande majorité à la politique de non-intervention du gouvernement français et engage, faute de réussite sur le terrain politique, toutes les possibilités pour apporter son soutien aux républicains espagnols. Malgré quelques dissidences, l’ensemble des structures de la CGT participe à l’effort de solidarité. La seule différence notable se situe au niveau de l’engagement dans les Brigades in- internationales, qui semble être une spécificité unitaire.

 Guerre d'Espagne suite de la "non intervention" 2ème partie
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