Angel
Guerre d'Espagne : Tonin, capitaine dans les armées de la république espagnole, a été fait prisonnier par les troupes nationalistes. Il est détenu dans une prison franquiste avec des camarades républicains condamnés à mort.Il partage les dernières heures avec ses amis Xavier et Joaquim.
Ils continuèrent ainsi à discourir sur tout jusqu'à l'aube naissante. Lorsque le bruit des pas se rapprochèrent d'eux, Tonin se jeta dans leurs bras :
-Je vais être seul à présent !
-Nous ne te quitterons jamais . Dit Joaquim. Tu verras ! ! Nous allons vivre en toi !
-Courage , Antonio ! Ajouta Xavier. N'oublie pas ta promesse : il faut vivre. Je ne savais pas que mourir était si simple !
-C'est moi qui pleure ! Moi qui reste ! Et vous qui allez mourir qui restez dignes !
-Si ! hijo (fils) . Il est parfois plus difficile de vivre que de mourir !
Il s'enlaçèrent une dernière fois dans une étreinte amicale. Puis les guardias civils les séparèrent et conduisirent Joaquim et Xavier dans la cour. Quelques minutes plus tard, ils s'écroulèrent sous les balles .
Tonin resta longtemps dans le cachot seul. Il repensait aux propos de Joaquim et du professeur . Leur visage apparaissaient sur les murs sordides de la prison. Il entendait Xavier lui dire : il faut que tu vives !
Le temps passa. Tonin changea de forteresse. Il fut transféré à Tarragone. Isolé dans un cachot encore plus sordide que l'autre, Tonin s'enfonçait dans l'abîme du désespoir.
Foutaises ! Pour qui dois-je vivre ? Qui pense à moi ? Je suis abandonné de tous , de la vie et je vais crever comme un rat ! J'aurai préféré mourir debout avec Joachim et Xavier sous les balles du peloton d'exécution en regardant le soleil en face !
Mal nourri, sans aucune hygiène, replié sur lui-même , prostré, comme une bête, il frôla la folie et tomba malade . Personne ne s'en occupa. Une terrible dysenterie l 'affaiblissait de jour en jour accompagnée d'une fièvre redoutable ;
Ses geôliers pensaient le trouver mort d'une heure à l'autre. Il resta ainsi des jours plus proche de la mort que de la vie... mais sa constitution physique lui permit de résister là où l'immense majorité des hommes de son âge (jeunes), aurait succombé. En quelques semaines il perdit vingt kilos.
Le temps passa …Il était toujours vivant !
Chaque jour était un rendez- vous avec la mort ! Il pensait rejoindre tous les gens qu'il avait tant aimés : son frère Innocencio, ses compagnons de guerre : Ramon ,Vicenté, ses amis Gracia , José-Maria, Antonio, Elisa ,Feliz et aussi ses camarades de détention ,Xavier et Joachim. Il attendit ce rendez-vous avec impatience et sérénité.
Un jour il reçut une curieuse visite :
-Tonin, Tonin, c'est moi
Tonin connaissait bien cette voix. Il l'avait entendu toute sa vie. Il semblait avoir rêver . Dans sa fièvre il entrouvrit les yeux. Il ne reconnut pas sur le coup l'homme en uniforme de guardia civil qui prononçait son nom de toujours. Cependant , il dut se rendre à l'évidence : c'était Angel, son cousin germain, son frère, son ami !
-Angel ! Murmura Tonin.
Il réunit le peu de force qu' il lui restait et s'approcha des barreaux qui les séparaient :
-Mon Dieu ! s'écria Angel effrayé. Dans quel état es-tu !
-Je suis malade Angel et je vais mourir !
-Non ne dis pas cela !
Angel lui expliqua :
-Tonin j'ai demandé à être muté à la garnison de Tarragone pour te voir. J'ai essayé de faire quelque chose ! J'ai obtenu un droit de visite.
Tonin ne le regardait plus.
-Angel , à quoi cela sert il de vivre ?
-Tonin , je vais t'aider , je te le jure !
Angel observait son cousin. Il avait du mal à le reconnaître. Où était le beau jeune homme brillant, gai , optimiste à la carrure d’athlète parlant à ne plus finir ? Tonin n'était ni l'ombre de lui-même.
-Prends cet argent ! Donne- le aux gardes ! Demande leur de l’aspirine du savon et de l'huile d'olive !
Tonin n'écoutait plus :
-Il est trop tard pour moi, Angel !
Et il perdit connaissance.
Angel se fit ouvrir la porte du cachot. Il soudoya les gardes et fit intervenir ses relations. Il fit conduire Tonin dans un hôpital militaire.
On le soigna bien et même très bien pour un « ancien rouge ».Angel avait de l'influence. De plus, les personnalités de Hecho, ainsi que les habitants ,avaient réuni une somme importante destinée à »une caution « en vue d'une hypothétique libération ».Quand il alla mieux, on le remit dans une cellule. Angel lui procura de quoi se laver, se changer et s'alimenter . Tous les jours, le" guardia civil" allait voir son cousin un » capitaine rouge, » détenu dans la pus grande forteresse d'Aragon. Ces visites remontèrent le moral de Tonin :
-Te souviens -tu Tonin lorsque vous aviez bu le vin du curé, Antonio et toi cet après -midi de juillet ?
-Oh oui et qu'il était bon !
-Et ce jour où nous devions donner notre représentation théâtrale ,lorsqu'Enrica me poursuivit dans le public ?
Tonin se mit à rire !
-Oui mais tu ne l'as pas épousée pour finir !
C'était la première fois depuis longtemps que Tonin plaisantait. Angel était heureux.
-Et la fois qu'Innocencio avait pris la vierge du coral et l'avait transportée dans l'église : tu pensais qu'elle s'était enfuie !
Tonin souriait ,les bons souvenirs de son enfance lui réchauffaient le coeur .
-Hélas Angel , nous étions trois garçons inséparables masi Antonio est mort ; il ne voulait pas de la guerre et la guerre l'a rattrapé. On ne peut fuir son destin. Toi tu es guardia civil et tu t'es battu contre moi et contre nos amis : Gracia et les autres..Hécho mon village était du coté des franquiste ! Et moi qui peut être vais mourir si j'échappe à la maladie , je n'échapperai pas à vingt ans de prison. Angel , la vie donne beaucoup : notre enfance si heureuse, nos joies, mais elle reprend cruellement ce qu'elle a donné !
-Tonin ne sois pas si amer ! Tu es vivant et cela est un miracle . Ne te rends- tu compte de la chance que tu as ?
-La chance ! La République a perdu . J'ai vu mourir des hommes exceptionnels, irremplaçables ! J'ai vécu dans la crasse, la solitude, avec la maladie comme compagne et tu dis que j'ai eu de la chance, Angel . Mais j'aurai préféré bien des fois le sort de mes amis fusillés !
-Oui mais maintenant Tonin tu vas mieux tu m'as retrouvé , les gens de Hécho interviennent en ta faveur, en un mot tu n'es plus tout seul ..Veux-tu toujours mourir ?
Tonin ne dit rien . Sa situation actuelle n'avait rien à voir avec l'enfer passé : ses conditions de détention avaient considérablement changées grâce à l 'intervention d'Angel. Il avait sa visite quotidienne. Les gardiens étaient au petit soin avec lui. On lui écrivait de Hécho.
Angel le laissa dans sa méditation.
Ester
C'est à cette époque que Tonin fit la rencontre d'une jeune fille : Ester. On venait d'incarcérer son jeune frère ; Guillermo dans une cellule voisine de celle de Tonin. Sa soeur lui apportait tous les jours du linge propre et de la nourriture. Lorsqu'elle passait devant les barreaux du jeune capitaine, elle ne manquait pas de jeter un regard sur lui. Tonin fut très sensible à cet intérêt et se mit à guetter chaque jour l'arrivée de la jeune fille.
Il se rasa et s'aspergea d'eau de cologne que lui apportait Angel. Peu à peu dans cette prison triste il reprit goût à la vie , à quelque chose, à quelqu'un. Les présences d'Angel et d'Ester, étaient à présent pour lui des raisons suffisantes d'espérer de croire, donc de vivre.
Ester était blonde aux yeux bleus clairs et parlait un castillan avec un accent : elle était basque. Son frère, séparatiste, avait participé à des actes de résistance contre le fascisme espagnol. Il était malheureusement d'une constitution chétive. Les conditions de détention étaient atroces : les faibles étaient condamnés à mourir tôt ou tard de maladie et de malnutrition. Tonin avait résisté à tout parce qu'il avait une santé robuste et un physique d'athlète. Pourtant, lui aussi était tombé malade. Guillermo décéda très vite au bout de plusieurs semaines. La jeune fille apprit la mort de son frère et s'en retourna. Tonin pensait :
-Ca y est ! C'est fini ! je ne la reverrai plus jamais !
Une immense tristesse envahit son coeur. Il passa une bien mauvaise journée et ne put dormir. Le lendemain pourtant on l'appela :
-Antonio Orensanz, au parloir !
-Tonin hébété suivit le garde. En principe lorsqu'Angel venait il entrait dans son cachot et s'asseyait auprès deTonin pour discuter.Il comprit que ce n'était pas Angel qui venait le voir mais qui d'autre ? La famille ?
Lorsqu’il entra dans le parloir ,il crut rêver .
-Bonjour ! C'était Ester .
-Bonjour ! répondit ahuri Tonin
-Voyez-vous (reprit la jeune fille), mon frère est mort . Je ne peux plus rien pour lui. Alors j'ai pensé que vous aussi vous aviez besoin de pas mal de choses. Je suis sûr que Guillermo m'approuverait.
Dit- elle dans un sanglot.
-Mais comment avez vous pu obtenir un droit de visite ?
-J'ai dit que vous étiez mon fiancé. Vous n'êtes pas fâché ?
-Fâché ? Dit Tonin . Non ! Plutôt flatté !
Et il rit.
-Je m'appelle Ester Izpatura et vous ?
-Antonio Orensanz mais mes amis m'appellent Tonin .
-Vous êtes détenu politique ?
-Oui ! Un Rouge, capitaine ! Et vous que faites -vous quand vous ne visitez pas les détenus ? Questionna Tonin un sourire aux lèvres.
-Eh bien je travaille à la Croix Rouge : je suis secrétaire : c'est comme cela que j'ai pu vous procurer du linge et quelques nourritures à mon frère.
Ils parlèrent de choses et d'autres, puis la visite s'acheva. On reconduisit Tonin au cachot. La joie s'était emparée de son coeur. Tous les jours ,elle vint le voir lui apportant bonheur, nourriture linge et réconfort.
-Je dois passer encore 17 ans en prison !
-Qui sait? Peut être que non !
-Où en est l'Europe ?
-Toujours soumise à Hitler. La situation n'a pas évoluée depuis trois ans, cependant les Russes ont résisté à Stalingrad . Ils sont forts, les Russes ! C'est la première victoire contre Hitler !
-Bien ! Dit Tonin Bien ! Et les Américains ?
-Oh ! Ils vont finir par intervenir ! L'aviation japonaise a détruit toute leur flotte !
-Ah ? Et c'est à cause de cette destruction qu'ils vont intervenir enfin en Europe ?
-Oui ! Je pense que c'est parce qu'on à toucher à leurs intérêts, qu'ils interviennent !
-Ils ont mis du temps ! Ajouta Tonin dépité.
-Bien sur ! Eien ne les y obligeait ! Mais du moment où on touche à leur bateaux et avions, ils ont intérêt à éliminer leurs adversaires . Donc à débarquer en Europe .Tout était calculé !
-Comment peux- tu avoir de telles nouvelles ? Tout est censuré ici en Espagne : l'amie fidèle d'Hitler et de Mussolini !
-Mon oncle a un poste radio et on peut écouter les informations d'Afrique du Nord .
-Faites bien attention à vous ! Murmura Tonin. Des espions sont partout en Espagne : c'est la chasse aux Rouges et à ses sympathisants, et à tous ceux qui combattent Hitler !
-Ne vous inquiètez pas pour nous ! Bientôt l'Europe sera libérée et l'Espagne aussi et ce jour là , viendra très vite ! Ayez confiance , ce n'est plus que l 'affaire de quelques mois !
-Quelques mois ici sont des siècles !
-Oui mais des siècles à parler à nous voir ! Pas vrai ? Ajouta Ester, malicieusement.
Ils riaient et faisaient mille projets d'avenir quand l'Espagne serait à nouveau libre : quand elle aurait retrouvé la démocratie, Manana, DEMAIN ! Cet espoir faisait vivre Tonin .Dans ses illusions il trouvait la force de se préparer moralement à sa prochaine sortie car (pensait il), « on aura besoin de lui », bientôt .
Une année s'écoula ; 1944
On le changea de forteresse. Il fut enfermé à Huesca. La mort dans l'âme Ester et Tonin se séparèrent. Tarragone et Huesca étaient distantes de quelques centaines de kilomètres .Ester vint quelquefois voir Tonin ,mais pas aussi souvent qu'elle l'aurait désiré. Alors ,elle lui écrivit tous les jours. Les mois passèrent.
Après la défaite d'Hitler et de Mussolini, un bon nombre de républicains comptaient sur l'intervention étrangère en Espagne pour éliminer Franco, l'ami des deux dictateurs. De nombreux républicains s'étaient engagés les premiers dans la Résistance en France. A Paris, le Maréchal Leclerc libéra la capitale avec les chars des Républicains espagnols. Cet immense espoir de la libération espagnole , rayonnait dans le coeur de tous les républicains et plus particulièrement, dans celui de Tonin.