première partie
Le trouble d'Aurélie -
Aurélie Du Maine était une de ces « écrivaines « en vogue dans la seconde moitié du XIX ème siècle. .Elle vivait non loin du Berry, dans la Creuse, dans
cette France profonde et besogneuse qui subissait inexorablement l'exode rural.
Elle était née dans une famille bourgeoise. Dès l'age de six ans , elle avait été placée dans un institut catholique de Guéret .Elle lisait beaucoup : Georges Sand son idole et future modèle, Hugo, Flaubert .... Elle sortit du pensionnat dix ans plus tard. Partagée entre la tristesse de quitter ses amies d'enfance et de jeunesse et la joie de retrouver sa liberté, Aurélie ne tarda pas à vouloir aussi quitter la maison familiale pour vivre « sa vraie vie « auprès d'un homme assez riche qui satisferait ses caprices , et assez tolérant pour lui permettre de mener une vie d'épouse émancipée .
Elle le rencontra lors d'un bal .Plus âgé qu'elle , il était cultivé et bienveillant. Martial Lejeune avait vingt ans de plus qu'Aurélie . Veuf sans enfant, il était huissier à la cour de justice de Guéret. Il la demanda en mariage et l'épousa dans l'année. .Les mariés partirent en voyage de noces aux » Iles Baléares » à Majorque et visitèrent Valdémosa là où Georges Sand avait séjourné avec Chopin ». De retour en France , Aurélie alla vivre à Limoges , nouvelle affectation de son mari. Elle engagea durant des années une correspondance intense avec Georges Sand et devinrent amies .
Aurélie développa à Limoge un cercle littéraire où se retrouvaient écrivains poètes, artistes de la région . Elle se mit à écrire et fut vite publiée. Son premier livre relatait les mémoires d'une jeune fille aventureuse enfermée dans un pensionnat, austère de la France profonde. Elle y évoquait ses rêves, ses rebellions. Elle le signa sous le pseudonyme d' Aurèle Valdémosan...
Elle eut des enfants. Elle mit au monde à dix huit une fille qu'elle appela « Cadette » et suivirent trois garçons : Maurice et les jumeaux Martial et Aurélien. Sa vie était rythmée par les saisons , la maison les enfants, la vie rurale la correspondance avec Georges Sand, son cercle littéraire .Puis elle s’intéressa à la politique et aux divers courants artistiques de l'époque regroupant peintres , sculpteurs, écrivains, musiciens.
Les enfants avaient grandi : Cadette allait sur ses treize ans et les garçons sur leurs douze ans et dix ans . Aurélie accompagna à Paris son époux appelé pour des affaires . En chemin, la diligence s’arrêta à une trentaine de kilomètres de Limoges pour prendre de nouveaux voyageurs . Le couple fit la connaissance de Jocelyn Tourel, jeune peintre débutant qui « montait à Paris » rencontrer son maître : Claude Monet . La jeune femme engagea la conversation, intriguée par les toiles que le jeune homme transportait avec ses bagages. Ils discutèrent tout le trajet .Jocelyn invita Aurélie et son époux au vernissage de ses oeuvres. Arrivés à destination ils se quittèrent..
Aurélie découvrit les expositions des impressionnistes , et retrouva Jocelyn. Elle fut très sensible à sa peinture mais aussi à son beau visage .Cette attirance fut partagée et la troubla profondément . Elle acheta à Jocelyn diverses toiles. Le jeune homme partageait avec un groupe d'étudiants d'intellectuels, les idées socialistes révolutionnaires de la fin du siècle et se battait pour une société plus juste et digne. Il convainc Aurélie de la nécessite de changer les choses en profondeur.
Lorsqu’elle retourna en province après ce séjour parisien, elle avait changé. Elle fit accrocher les toiles de Jocelyn dans son petit salon privé et passait des heures à les regarder, comme absente ailleurs, dans ses rêves et ses pensées.
Deux années passèrent.
Aurélie continuait d'écrire . Retirée dans cette province morne peu animée, elle s'y ennuyait et regrettait Paris et son séjour inoubliable .Ce jeune peintre l'avait troublée. Elle n'avait jamais ressenti une telle attirance . Martial était certes généreux, patient, sérieux, bon père de famille, mais elle avouait n'avoir jamais été amoureuse de lui. Il ne l'avait jamais fait vibrer, rêver, éblouir comme Jocelyn. Ce jeune homme était arrivé inopinément dans sa vie et avait tout bouleversé : ses certitudes, ses principes, ses idées, ses espoirs. Il venait de faire trembler l'édifice de son mariage. Elle était plus âgée que lui de six ans, mais elle avait le sentiment d'avoir retrouvé son adolescence, d'avoir à nouveau quinze ans.
De fait ,Jocelyn était son premier amour.
L'année suivante, Jocelyn retourna chez ses parents demeurant proches de Limoges et en profita pour rendre visite à Aurélie. Il fut invité à rester plusieurs jours dans son manoir . Il peint, les paysages, les portrait d'Aurélie, des enfants . Ce furent des journées solaires. Jocelyn éprouvait les mêmes sentiments qu'Aurélie. Très amoureux il lui déclara sa flamme et lui proposa de s'enfuir ensemble. Aurélie n'était pas prête à un tel sacrifice : tout quitter et assombrir ainsi la vie de ses enfants et de son époux .