« Une histoire de poilus :
Hiver 17 »
Une histoire dans l'Histoire
I première partie :
Du Chemin des Dames
au Mont Pilat
Première partie de « Hiver 17 »
Nord de la France avril 1917 : Aisne ligne de front :
Chemin des dames
Fin avril 1917
La révolte avait gagné tous les bataillons .Les raisons en étaient l'échec douloureux de l'offensive du chemin des Dames qui n'avait eu pour résultat qu'une effroyable hécatombe inutile et la continuité de prochains mois de guerre sans que l'on puisse en voir la fin.
Les poilus fatigués ,harassés, pour certains n'avaient pas eu de permission depuis le début de la guerre.Trois ans sans voir leur famille, leurs enfants. Certains n'avaient jamais tenu dans leurs bras leurs nouveaux nés alors qu'ils étaient au front. Les frères Lacombe qui venaient du Pilat avaient eu , quant à eux ,de la chance et avaient bénéficié d'une permission à Pâques en avril 17 pour revoir les famille.
Le moral était au plus bas.Les conditions indignes dans les tranchées faim, froid puanteur, saleté, maladie, ajoutaient encore plus d'horreurs à leur longue attente de la mort.
A ce profond malaise et mécontentement vinrent s'ajouter les ordres criminels des supérieurs demandant d'attaquer alors que la mort était là en face. Ces ordres venaient , de généraux bien à l'abri , eux et leurs fils et amis, loin du front et de la guerre, « ces planqués de l'arrière » pour qui la vie des poilus ne valaient pas grand chose .
La nouvelle de la révolution russe s'était propagée comme une trainée de poudre .Les soldats du tsar l' avaient destitué et fraternisé avec les soldats allemands.Ils voulaient stopper cette guerre fratricide qui n'était pas la leur.
-Assez de morts, de mutilés ! Guerre à la guerre ! Cross en l'air !
Les sous officiers proches de leurs hommes se joignirent eux aussi ,à cette rébellion.
C'était l'automne .
Les frères Lacombe étaient trois :
l'ainé Jean sergent aimé de ses hommes ,le cadet Pierre, caporal apprécié aussi .Quant au dernier, Pascal il était parmi les plus jeunes .Les deux ainés combattaient dans le même bataillon.Pascal avait été incorporé dans une unité de cadets. .Le soir ,les trois frères et leurs amis ,se retrouvaient pour partager un verre. Pascal , à peine débarqué sur le front , reçut un éclat d'obus qui lui brisa l'épaule.Il était en convalescence à l'hôpital militaire à quelques kilomètres de l'Aisne.
Un jour ,le capitaine ordonna une nouvelle attaque au chemin des Dames.La veille ,la moitié du régime avait été disséminé . Fatigués, les hommes contestèrent l'ordre et refusèrent de monter « se faire trouer la peau pour rien » !
-En avant ! Hurlait le capitaine.
-Mon capitaine c'est un suicide ! S'interposa Jean. Personne n'en reviendra !
-Ce sont les ordres sergent ! Vous préférez déserter ?
-Non mon capitaine ! Nous ne sommes ni déserteurs ni trouillards ! Vous le savez ! Mais ce soir nous n'en pouvons plus de voir nos camarades tomber comme du gibier canardé ! Ajouta Pierre.
-Ah les frères Lacombe ! Des fortes têtes ! Je me suis toujours méfiez de vous deux ! Vous vous croyez ici sur vos terres du Pilat à commander vos vaches et vos moutons ?
Railla le capitaine devenu cramoisi.
-Si vous ne montez pas vous et vos hommes je vous abats ! Tous les deux ! Hurla le capitaine.
Jean resta de marbre et dit :
-Camarades ! Cross en l'air aujourd'hui on ne va plus au bois ! Mourir pour qui , pour quoi ?
Tous les hommes l'approuvèrent en hurlant :
-Cross en l'air !
Ils se mirent à chanter l'internationale. Alors le capitaine visa Jean et l'abattit froidement.Puis il fit de même pour Pierre.
Les hommes interloqués ,paralysés par ce geste incroyable, restèrent sans réaction.Le capitaine continuait :
-Qui d'autre ? Qui d'autre dois-je abattre pour me faire entendre ?
Deux amis proches des frères Lacombe , Edouard Meiller et Ferdinand Joly se ruèrent sur lui suivis de tous les hommes . Jeté à terre, le capitaine fut tué à coup de cross.
Jean et Pierre étaient bien morts.Dans la tranchée c'était la consternation. Tous décidèrent de déserter après l'exécution du capitaine.. Ferdinand aida Edouard à porter les corps des deux frères hors de la tranchée sous un arbre.Les soldats se recueillir devant leur dépouille . Edouard chercha dans leurs poches leurs effets personnels :
-Il faut les rendre à Pascal ! dit- il en s'adressant à Ferdinand.
La trentaine d'hommes qui avait participé à cette émeute rendirent un dernier hommage à leur sergent et caporal et se dispersèrent dans la nuit.
Ferdinand et Edouard rejoignirent l’hôpital militaire.Ils avertirent Pascal de la tragédie :
-Mes frères ! Mes pauvres frères ! Que va dire la mère ? Elle va en mourir ! C'est sûr ! Et si je reste ici ,ils m'enverront au front quand ils estimeront que je suis bon à me faire tuer moi aussi ! Et ma femme ma belle Betty que va t -elle devenir ?
-Viens avec nous ! Pascal ! Partons cette nuit ! Il n'y a pas de temps à perdre !
Pascal ne disait rien tant le chagrin et les larmes l’empêchaient de parler et de penser. C'est alors que son voisin très gravement blessé rendit son dernier souffle dans un râlement.
-Je ne veux pas finir comme lui ! s’exclama Pascal .Où comptez -vous vous cacher ?
-Je ne sais pas encore ! Marcher dans la nuit devant nous ! Dit évasivement Ferdinand
-On va vous rattraper ! Murmura Pascal .
Les trois hommes marquèrent une pause . Oui la situation devenait très dangereuse pour Ferdinand et Edouard : ils seraient fusillés sur l'heure si on les trouvait .Pascal leur proposa :
-Je sais où vous cacher ! Chez moi dans mes montagnes ! Dans mes crêts ! Personne ne pensera aller là-bas vous chercher ! Je pars avec vous ce soir mais pas à pied !…
!
Durant son séjour à l'hôpital le plus jeune des Lacombe avait repérer une automobile portant une croix rouge :
-Tu sais conduire n'est-ce -pas Ferdinand ?
-Oui ! j'ai été un temps, ambulancier .
-J'ai ce qu'il nous faut ! Suivez -moi !
Il conduisit les deux frères au garage . Pascal montra une ambulance.
Ils poussèrent la voiture sans la faire démarrer environ deux cents mètres, pour ne pas attirer l'attention ...puis l'équipée prit place et démarra . A l'arrière il y avait un brancard et des blouses blanches .
-Je vais m'installer sur le brancard et vous, enfilez ces blouses ! Proposa Pascal qui ne manquait pas de suite dans les idées.
Ils roulèrent toute la nuit et au petit matin ils stoppèrent le véhicule, dans un bois et fatigués, s'endormirent.Ils ne s'étaient pas reposer deux heures qu 'ils furent réveillés en sursaut par ...un groupe de soldats et leur officier.
Que faites vous là ? Questionna un capitaine.
-Désolé mon capitaine ! Répondit promptement Edouard.Nous sommes ambulanciers nous devions conduire ce blessé à l’hôpital. Nous avons roulé la nuit mais nous nous sommes perdus et je viens de m'assoupir n' il y a que quelques minutes !
L''officier pénétra dans l'ambulance. Pascal installé sur le brancard faisait mine de raller de douleur :
-C'est bon ! dit l'officier . On vous conduit jusqu'à l'hôpital !
Edouard mit le contact et l'ambulance fut escortée jusqu'au centre de secours.
Pascal fut installé sur un lit et soigné, tandis que les deux « ambulanciers » de fortune étaient réquisitionnés pour aider d'autres brancardiers et faire la navette avec le village voisin.
Ils restèrent dans cet hôpital environ quinze jours, attendant la bonne occasion pour partir.Afin de préparer leur évasion ,nos deux amis avaient récupéré discrètement des matricules de blessés décédés. L'occasion se présenta simplement. C'était le temps des permissions multiples .Pétain le nouveau général en chef afin de calmer les émeutes dans les tranchées avaient fait donné de nombreuses permissions.Nos deux faux ambulanciers en obtinrent une , signée par le médecin chef de l’hôpital et du commandant de la région sous de faux noms.Dans la confusion générale qui régnait à l'époque, on ne vérifia pas leur identifié et on se contenta de noter sur leur autorisation de circuler, le nom de la matricule qu'ils présentèrent. Quant à Pascal, il obtint aussi une permission sous le nom d'emprunt de son voisin décédé dans l'autre hôpital.
Ce fut une bonne centaine de soldats qui prirent le train pour Paris et la province et qui embarquèrent dans les trains.
Nos trois amis n'eurent alors aucun soucis pur voyager jusqu'à Lyon ,puis jusqu'à Saint- Etienne.
De là, ils prirent le petit train appelé « le tacot » ou "La Galoche" qui traversait la montagne du Pilat.Pascal très prudent convint d'un plan :
-A la gare de Saint-Etienne, on ne se connait pas. On monte chacun de son coté dans "La Galoche" . Toi Edouard, tu descends un arrêt avant Cheyers, le hameau à deux kilomètres de ma ferme. Quand ce sera l’arrêt je me lèverai , j'irai vers toi te demander du feu. Tu suivras les rails jusqu'à Cheyers. Tu vas trouver une grosse croix à l'entrée du hameau .C'est là que je t'attendrai. Moi, je descends à Cheyers .
Toi Ferdinand ,tu descends un arrêt après Cheyers , tu suis les rails en sens inverse et on se retrouve à la Croix.
Quand les trois hommes arrivèrent à la ferme, la mère avait reçu de mauvaises nouvelles de ses enfants : ils étaient tous morts au front ! .
En ouvrant la porte ,la pauvre femme se jeta dans les bras de Pascal en pleurant.
-Pascal c'est bien toi ! Mon Pascalou ?
-Oui maman ! c'est bien moi !
-Ces imbéciles de l'armée nous ont dit que tu étais mort.Mais tu es bien vivant, hein ?
-Oui maman ! pleurait Pascal .La blessure était sans gravité.
A ce moment arriva la femme de Pascal :
-Pascal ! mon Pascalou ! On a reçu une lettre terrible voilà huit jours : vous étiez morts , les trois frères.La mère a été bien malade !
-Mais je suis là bien vivant ma douce ! Tu es enceinte ?
-Oui mon Pascalou et c'est pour la Noel !
Quelques instants après, se détachant de son plus jeune fils, découvrant Ferdinand, près de la porte , la mère se dirigea vers lui :
-Jean ! mon Jean !
Elle prit Ferdinand dans ses bras et l'embrassa.
- Tu es là ! Fripouille !
-Mère ! Tenta d'expliquer Pascal.
-Laisse ! Murmura Betty ! Laisse -la !
-Et toi mon Pierre toujours à te cacher ! Viens ici que je t'embrasse !
Et elle se jeta dans les bras de celui qu'elle prit pour son cadet .
Ferdinand et Edouard n'osaient rien dire. Betty proposa :
-Mère il faut aller vous reposer ! Tant d'émotions !
-Ah non ! je vais leur préparer la soupe !
Et elle quitta la cuisine pour aller chercher des légumes dans le garde manger.
-Pascal ! Dit Betty .Mère a été très malade.Elle avait perdu le sens des réalités ! Votre arrivée est pour elle un choc ! .
-Je comprends !
-Et Jean et Pierre ,il y sont restés ? Questionna à voix basse Betty.
-Oui ! Affirma Pascal en s'effondrant.
-Il faut te ressaisir mon ami ! Lui dit Betty ! Pour la mère .
Puis s'adressant aux amis de Pascal :
-Est -ce gênant pour vous, de passer pour mes beaux frères aux yeux de ma belle -mère ?
-Non ! Dit Ferdinand
-Ni pour moi ! Affirma Edouard
-Oh l'affaire de quelques mois , le temps que la mère accepte son deuil !
Pascal approuva :
-Pour la mère vous êtes nos frères ! Pour les curieux vous serez aussi mes frères ,en longue permission et memes réformés pour grosses blessures.Vous avez la même corpulence qu'eux . Nous les poilus avec nos barbes ,nos moustaches et nos cheveux longs ,on se ressemble tous comme des frères !
Pascal prit la photo qui prônait sur le rebord de la cheminée et la présenta à ses amis .
Ferdinand et Edouard l 'observèrent avec tendresse : la photo des jours heureux .On y voyait trois beaux garçons entourant une vieille dame qui souriait .
L'automne passa vite et le précoce hiver s'installa dans la montagne du Pilat .Décembre et son cortège de neige, arriva.