Les Hautes Chaumes
Chapitre II
Hiver 1776
C'était un de ces hivers terribles où la neige avait recouvert précocement la région des Monts du forez, des Hautes Chaumes mais aussi le nord de la France et toutes les régions montagneuses.
Au village ,les hommes sortaient en groupe pour aller faire des trous près de la rivière "Le Lignon" pour essayer de prendre quelques poissons tant la disette était grave et aussi pour faire front ensemble aux loups qui s'approchaient dangereusement des habitations .
Voilà deux semaines qu'il ne restait plus de seigle pour faire le pain ni même de blé. On savait que le château était inhabité mais regorgeait de réserves .Le chatelain était à Paris et depuis deux ans .Un de ses dévoués domestiques, conservait les stocks importants d'avoine de blé d'orge , de seigle, de sel , de pommes , la viande séchées, poules, moutons, cochons destinés au Seigneur des lieux .Toutes ces nourritures , l' homme de main le serviteur zélé du seigneur , les avait confisquées aux paysans et stockées dans la battisse fortifiée et les réservait également pour sa propre consommation .
Ce gardien-intendant avait pour lui la loi » « qui obligeait les paysans travaillant sur les terres du seigneur , à donner une part très importante de leur récoltes à leurs maitres.Les gens d'armes, avec le garde champêtre étaient d'ailleurs les grands amis du gardien du château . Ce dernier les soudoyait en leur offrant une part de son butin alimentaire volé aux pauvres.Mais cette année là , était une année exceptionnellement mauvaise : le printemps tardif et pluvieux avait fait pourrir les plants ; la gelée avait quitté les terres qu'à la mi-juillet.L'été avait été court , de sorte que les jardins, et les arbres fruitiers n'avaient donné que très peu ,tout comme les champs de blé et de seigle.Les bêtes aussi, commencèrent à souffrir de la faim.Les estables étaient pauvres en herbe grasse et gorgées d'eau... L'hiver s'annonçait terrible. Le gardien-chatelain ne voulut rien savoir des problèmes de la population et aidé de ses amis les gens d'armes et d'un petit bataillon de soldats, il se fit remettre la quasi totalité des récoltes des villageois sous menace de les emprisonner.
C'est le coeur gros et le visage en feu qu'un jeune paysan très apprécié des villageois "Simon Monteban "dut céder les trois quarts de sa production à cet avare de gardien surnommé par les gens du village et des hameaux alentour « Chataigne » en dérision du nom Chatelain ...
Il s'en suivit bien évidemment une émeute .Simon et quatre de ses amis, devenus des inséparables , profitèrent d'un dimanche où la neige avait tout bloqué , pour attaquer les remises du château et les vider. Tous les villageois accoururent. Chataigne apparut un fusil dans les mains avec sa femme :dame Bertine, elle aussi armée.
-Eh bien tirez ! Hurla Simon.
-Tirez sur nous !Vous m'aurez moi, et quelques compagnons ! Mais aurez vous assez de balles pour tuer tout le monde ?
Châtaigne était devenu blanc comme un linge ! Pour sûr il pourrait abattre Simon, et ses quatre acolytes ,mais après... . La foule le lapiderait lui et Bertine .C'était plus de 150 personnes qui étaient présentes ,levant le poing et les fourches face à eux deux !
-Nous avons faim ! Ajoutant encore Simon ! Nous ne sommes pas des assassins mais si tu tires on te massacrera et tu le sais.Alors laisse-nous prendre le nécessaire pour nos familles et nos bêtes ! Les seigneurs ne viendront pas cet hiver et tu ne peux garder tout ça pour toi tout seul !Tu auras ta part pour ta femme et tes enfants .Alors ,tu fais quoi ?Insista Simon.
-Tu tires ou tu laches ton fusil ?
Châtaigne baissa son arme.Les villageois applaudirent. On fit le partage équitable des réserves .
Simon avait eu une instruction sommaire, mais il savait lire écrire et tenir les comptes. Chose rarissime à l'poque pour un paysan .Ces connaissances il les devait, ainsi que ses quatre compagnons à un curé qui était venu à Chalmazel, il y avait dix ans , exercer son ministère .Un prêtre très différent qui s'était donné pour mission d'instruire un certain nombre de fils de paysan afin que ces derniers aident leurs semblables et s'élèvent dans l'échelle sociale selon leur mérite.
C'est ainsi que Simon et quatre autres garçons bénéficièrent de la philanthropie de cet homme d'église pendant six années. Mais cette expérience remonta au oreilles du seigneur jusqu'à Paris et le prêtre fut désavoué car "chacun devait rester à sa place"...Mais le mal était fait, dirons -nous : nos cinq paroissiens qui avaient douze ans avaient suivi une instruction presque complète .Un nouveau curé fut nommé et l'ancien renvoyé dans une petit village bien loin des terres foréziennes. . Avant de partir il fitdon de nombreux livres à ses petits disciples » qui décidèrent de faire partager leur savoir et d'apprendre à lire au plus grand nombres de personnes ...
Ainsi dans ce village perdu il y eut un paysan sur quatre lettrés capable de tenir des livres de comptes, des registres de naissances etc...
L'hiver nous l'avons dit fut très rude et très long et le village fut isolé des mois durant.
Quand vint le printemps les routes furent dégagées. Châtaigne se rendit à la ville voisine et expliqua que la populace avait pillé les réserves seigneuriales et s'était bien servie.Les meneurs étaient les élèves de l'ancien curé et leur chef Simon Monteban . .Le nouveau curé hostile avait été enfermé par les paroissiens .Chataigne inventa des mensonges parlant d'excès ,de crimes mêmes ...Ce qui entraina l'intervention des gens d'armes et du bataillon de Monbrison venu arrêter les rebelles et les emmener à la prison de Montbrison.
Châtaigne tenait sa vengeance.
A Paris les châtelains furent avisés et demandèrent des sanctions exemplaires pour les voleurs.
Ils furent condamnés à être fouettés. Chataigne chargea Simon .Il y eut un procès : une mascarade. On ne pouvait punir tout le village au risque de provoquer une autre jacquerie. Il fallait néanmoins faire des exemples. Alors on s'acharna sur les cinq lettrés : Simon et ses amis ..
-Voilà où conduit l'instruction au peuple ! A la rébellion ! Rayait le curé réactionnaire .
Nos cinq hommes furent condamnés aux galères .
Des mois passèrent. Novembre venait de pointer son nez.
Le jour du départ pour les galères arriva.Il avait fait très froid cette nuit là et la neige était tombée en abondance .La diligence des prisonniers fut attaquée par les loups . Les soldats tirèrent toutes leurs balles contre les loups . Lorsqu'ils eurent épuisé leurs munitions , Simon poussa la porte de la diligence et s'échappa avec ses quatre amis . .Les soldats ne voulurent pas le poursuivre et les laissèrent à leur destin pensant que les loups se chargeraient d'eux Mais Simon et ses compagnons parvinrent à s'en sortir . Ses quatre amis préfèrent choisirent de quitter la région....
Simon voulut revoir sa femme qui avait accouché voilà deux mois .Il se rendit à Chalmazel..Le bébé se portait bien . Sa jeune épouse Margot ne pouvait suivre son homme dans le froid et l'hiver avec le nourrisson. De plus, elle pensa à juste titre qu'en disparaissant avec l'enfant , Chataigne avertirait les gens du Roi qui en concluraient que Simon était toujours vivant et que son épouse était avec lui .Il était préférable qu'on le crût mort dévoré par les loups comme ses amis .Simon décida de partir seul dans les hautes Chaumes :ces estives communales" qui appartenaient à personne et à tous , de s'y cacher dans une de ces maisonnettes au toit pentu .Là -bas personne ne penserait le retrouver .Il attendit que la neige se remette à tomber pour quitter sa famille afin que ses traces soient masquées .Il prit deux chiens et son cheval et muni d'un fusil, de victuailles et de chauds vêtements, il entreprit la montée vers les hautes Chaumes .