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Deux souliers dans la neige
Haut Forez
Dans une petite ville de montagne, Usson en Forez une jeune institutrice Mathilde venait d’être nommée.Elle était originaire de Saint -Etienne la capitale de la Loire distant d'environ 60 kilomètres.
La jeune enseignante devait rester la semaine et le dimanche à Usson dans son appartement de fonction : un petit deux pièces . L'école se terminant à 16 heures 30 , le samedi, elle ne pouvait prendre le petit train qui partait à 15 heures d'Usson pour être le dimanche avec sa famille à Saint Etienne .
Le jeudi , si elle avait désiré voir sa famille elle n'aurait pas eu assez de temps car le train partait à 9 heures, arrivait vers 12 heures à Saint Etienne et repartait à 15 heures pour le Haut Forez.
Elle avait une classe unique de 24 enfants du cours préparatoire au certificat de fin d'étude , 24 élèves pour la majorité fils et filles de paysans de commerçants d'artisans, de quelques notables notaire, juriste... médecin..
Exilée dans ces montagnes, la jeune citadine occupait ses jeudis et ses dimanches à travailler, se reposer se promener , jardiner , peindre jouer de la musique : du violon et du piano. Par bonheur l'école avait un vieux piano que Monsieur le maire avait bien voulu faire raccorder. Ainsi Mathilde fit partager à ses élèves sa passion de la musique et du chant. Elle organisa une belle chorale pour les fêtes de Noel.
Elle connaissait la rigueur du climat de ces montagnes austères mais elle s'intégra et les villageois l'adoptèrent .
Après une mois de classe, elle put retourner à Saint-Etienne pour la Toussaint et y demeurer deux jours pour le grand bonheur de ses sœurs plus jeunes : Eugénie, et Marion , de ses parents et de son « amoureux » Léo" un ami d'enfance .
Ils s'étaient promis l'un à l'autre .
Léo avait fait des études et était entré comme rédacteur, journaliste dans le quotidien « la tribune républicaine ». Très proche des idées anarchistes, le jeune homme ne ménageait pas dans ses articles les bourgeois ,les grands patrons d'industries textiles de la Loire , les compagnies minières .Les ouvriers et les grévistes lui en étaient gré car ils trouvaient en lui un écho un soutien, une plume à leur cri , à leur lutte à leur cause, à leurs revendications .
Mathilde prépara donc un beau spectacle de chants profanes .Son école était laïque, et elle se devait de respecter cette identité. Noel pour le village était la fête religieuse par excellence. Mathilde respecta la tradition et expliqua à ses élèves l'histoire de Noël.
Elle leur apprit des chants anciens, profanes : « les pastouriaux », « mon beau sapin » » « vive le vent d'hiver » » trois anges sont venus ce soir ».Le dimanche précédant Noël le 18 décembre eut lieu la fête de l'école dans à la salle des fêtes municipale avec la chorale, la pièce de théâtre : « perdu dans la neige », les danses .Les enfants reçurent en cadeau ,un gouter ; une brioche, des papillotes un Malakoff, et une pomme.
La neige avait recouvert tout le haut Forez .
La semaine fila comme un éclair et le vendredi soir le 23 décembre fut le début de la semaine de vacances de Noël.
Mathilde avait préparé ses bagages durant la semaine . Elle avait acheté aux paysans et aux magasins de la petite bourgade , « des bonnes choses « qui feraient plaisir à ses parents : saucisson du pays, jambon cru, confitures d'airelles, de mures, de châtaigne, des marrons confits, des gâteaux aux noisettes et au cassis , des caramels à la liqueur , du vin de noix et des coteaux du Forez, du bon pain de seigle ,de la comporte de pomme ,de la liqueur de verveine.....
Elle était chargée avec sa valise . Elle avait mis à l'intérieur toutes les belles provisions et quelques vêtements. Elle emportait ses bottes de neige au cas où .
Ce samedi matin vers 7 heures le bleu dominait le ciel et le soleil se levait bientôt . Elle avait revêtu son manteau de fourrure rouge avec la capuche et mit à ses pieds ses plus belles chaussures noires vernies . Léo devait venir la chercher à la gare de Saint Etienne et la raccompagner chez ses parents. Elle s'était fait belle pour lui . Elle se rendit à la gare , il était huit heures et demi le train arriverait à 9 heures de Sambadel.
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La bise se mit à souffler froidement. Le beau ciel bleu se couvrit de nuages de plus en plus sombres .Il se mit à tomber des flocons de neige légers puis de plus en plus épais .Le train arriva. Mathilde y monta .La locomotive démarra .Il n'y avait peu de monde .Mais ce petit train devait desservir toutes les gares du Haut Forez .
Le train ne fit que 4 km et stoppa. Le contrôleur rassura les voyageurs :
-Quelques petits ennuis : la neige !
Effectivement cinq minutes plus tard le train repartait mais la neige se mit à tomber très drue et le brouillard se leva.On s’arrêta à nouveau, dix kilomètres plus loin :
-A cette vitesse là, dit tout haut Matilde, on arrivera à minuit à Saint -Etienne !
-Si nous y arrivons ! Corrigea un Monsieur au grand chapeau haut de forme qui se rendait à un mariage.
Les voyageurs attendirent encore une heure bloqués en pleine campagne. Le vent s'était levé et formait des congères .Lee train repartit, roula six kilomètres.. Il devait être non loin d'Estivareilles lorsqu'il stoppa pour de bon.
-La voie est encombrée de congères. Plus les cheminots déblayent et plus le congères se forment !
-Et que faire ? Demanda l'homme au beau chapeau.
-Nous avons demandé de l'aide et des renforts !
Il commençait à faire froid dans les wagons sans chauffage. Le brouillard etait devenu de plus en plus dense et le temps passait..Il était presque 15 heures et la nuit devait tomber bientôt. Le contrôleur vint expliquer :
-Nous avons averti Saint -Etienne de notre retard et nos ennuis. Mais personne ne peut venir nous débloquer car la tempête sévit sur tout le Forez et va empirer .Je vous proposa de quitter du train, de marcher environ 4 00 mètres pour rejoindre une auberge. Elle nous accueillera . Si vous avez des provisions prenez-les car les aubergistes n'auront pas assez de nourriture pour tous !
-Et nous devrons dormir là bas ? Questionna une mère de famille serrant contre elle son petit.
-Oui Madame ,c'est beaucoup plus prudent !
Chacun se prépara . Mathilde prit sa valise bien qu'assez lourde .
Et voilà le groupe d'une quinzaine de personnes parti dans le brouillard et dans la neige.
-Surtout que personne ne s'égare. Suivons-nous !
Les cheminots s'était mis en tète du convoi et à la queue avec leurs lanternes. Au bout de quelques mètres, Mathilde s'écroula dans la neige. Elle perdit ses belles chaussures . Se relevant elle demanda qu'on l'aide. Le contrôleur s'approcha :
-Mademoiselle ça va ? Oui mais j'ai perdu mes souliers je veux les retrouver.
-Nous n' avons pas de temps . N'avez vous pas des bottes plus pratiques ?
-Si fait dans la valise !
- Parfait ! Dit l'homme.
-Et mes souliers ?
Dans le brouillard, Matilde les chercha à l' aveuglette
- Ils ne vont pas s'envoler et personne ne viendra les prendre ,mademoiselle nous ne devons pas nous éloigner des autres ! Vous les retrouverez demain !
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La jeune institutrice rejoignit le groupe qui arriva à l'auberge où il passa la nuit de la nativité. Ce fut une soirée conviviale malgré tout. L'auberge était bien chauffée et une bonne soupe aux légumes réchauffa à l'arrivée ,nos hôtes. Dans la soirée on partagea les bonnes choses que chacun mit sur la table. Mathilde offrit son saucisson , quelques confitures et le gâteau aux noisettes. Dans l'auberge il y avait un groupe de musiciens : une douzaine pris par le froid qui devait jouer pour Noël à Saint Bonnet le Château... On chanta on dansa on mangea et la nuit passa vite . On put dormir sur des lits bien douillets. Le matin le soleil s'était levé et brillait sur la neige qui fondait. Plus de brouillard. Un paysage magnifique de carte postale se déroulait sous le yeux médusés de nos naufragés de la veille .L'air était si doux !
-Vite rejoignons le train ! Proposa le contrôleur.
Arrivés au train les voyageurs s 'installèrent .Le redoux avait fait fondre miraculeusement la neige sur les voies qui étaient dégagées à présent .Mathilde pensa à ses chaussures perdues . Elle ,les chercha en vain ....
-Mademoiselle ! Rappela le contrôleur. Nous partons !
Le cœur serré Mathilde abandonna ses recherches. Elle tenait beaucoup à ces souliers vernis car ils lui avaient été offerts pour ses dix huit ans par ses parents !
Le train arriva enfin à Saint Etienne. Léo était à la gare pour accueillir sa « fiancée » et il la raccompagna chez ses parents.
Mathilde passa un joyeux Noel et offrit ses délicieux cadeaux . Elle raconta à sa famille sa mésaventure et la perte de ses chaussures.
-Je t’achèterai d'aussi jolis souliers cirés ! promit Léo .
Les vacances se terminèrent bien vite et Mathilde un matin reprit le train pour Usson.
Le temps passa. Un jeune médecin venait remplacer son père à Usson. Il aimait pendant ses loisirs se promener à cheval dans les forets d'Estivareilles et d'Apinal Souvent il allait boire un café à l'auberge, des amis.
Un jour que la neige avait libérée le paysage il trouva une paire de souliers bien mouillés.
-Ces souliers sont ravissants se dit- il . Qui a bien pu les perdre ? Cendrillon ?
Il avait appris des villageois et des aubergistes les mésaventures du train de Noël, qui dut stopper .Les voyageurs furent conduits jusqu'à l'auberge et y passèrent la nuit de Noel .Il en conclut que les chaussures appartenaient certainement à une voyageuse. …
Il plaça la paire de souliers dans son hall d'entrée , face à la salle d'attente des patients.
-Quelqu'un les reconnaîtra ! se dit- il.
Un jour Mathilde accompagna une de ses élèves chez le médecin . C'était en avril. La fillette s'était tordu la cheville en sautant à la corde. En pénétrant dans le hall d'entrée, la jeune institutrice reconnut ses souliers :
-C'est vous qui les avez retrouvés ! S'écria t- elle
-Oui mademoiselle dans la foret d d'Estivareilles proche de l'auberge !
-Eh bien quelle surprise ! Dit Mathilde qui rougit de bonheur.
Puis enchainant :
-Juliette s'est fait mal en sautant à la corde pendant la récréation !
-Allons voir cela ! Rien de grave : une petite foulure .Trois jours sans bouger fillette.Vous êtes sa grande soeur ?
-Euh non ! Je suis son institutrice . Mathilde !
-Moi c'est Aurélien. Je remplace mon père !
-Oui je sais... ! Merci Monsieur !
-J'espère vous revoir Mathilde ..euh pas dans les mêmes circonstances ! dit le jeune homme en souriant .
L' enseignante était sous son charme. Grand beau séduisant , avec un sourire éclatant , c'était un peu le prince charmant de ses contes d'enfant .
Plus tard Aurélien lui rendit visite souvent et l'invita dans sa famille pour déjeuner .Il avait acquis une automobile et Mathilde adorait les longues promenade avec lui dans la campagne . Le printemps fila et l'été arriva avec les grandes vacances mais aussi la possible mutation de Mathilde en ville.
-Allez vous partir à Saint -Etienne ? Demanda inquiet Aurélien.Ici tout le monde vous aime. Les enfants, les parents , les gens..moi !
-Mon inspecteur m'a demandé ce que je désirai lorsqu 'il est venu me voir à la Toussaint .. A l'époque c'était mon souhait : retourner en ville mais aujourd'hui je suis partagée. J'aime cette école les enfants , c'est vrai et je n'ai pas envie de tout quitter et recommencer ailleurs !
-Alors repoussez d 'un an votre mutation ! C'est possible ?
-Euh ! Oui !
-D'ici là vous verrez les choses évoluer …..!
Mathilde prit le train pour Saint Etienne mit ses souliers vernis qui n'avaient pas souffert du froid ni de la neige , se rendit à l'inspection académique puis chez ses parents.
Là elle retrouva Léo qui l'attendait un paquet à la main. La voyant chaussée de ses chaussures noires, il lui dit :
-Tu as retrouvé tes souliers ?
-Oui !
-Je suis heureux de te voir ! Je t'avais pris cela pour toi !
Mathilde esquissa un sourire forcé.Elle savait ce que contenait ce paquet.
-Eh bien tu ne l'ouvres pas ?
-Si !
Elle ôta le ruban bleu et ouvrit la boite .Il y avait à l'intérieur une paire de souliers vernis noires identiques aux siens .
-Merci !
-Tu ne sembles pas heureuse de me voir ! Dit Léo.
-Sortons , j'ai à te parler !
-Oh je n'aime pas ce regard sombre ni ces mots ! Soupira Le jeune homme
Ils marchèrent côte à côte sans rien dire . La ville était animée.
-.Alors boire un muscat chez Bastien place Grenelle ! .Proposa Léo
Les deux jeunes gens s'installèrent à une table , à l'extérieur :
-Eh bien qu'as- tu à me dire ?
-Léo j'ai décidé de rester à Usson à mon école, et de ne pas me fiancer avec toi.
Léo resta sans voix, .Pour lui tout s'effondrait : la vie qu'il avait imaginée avec son amie d'enfance.
-Ce n'est pas possible , Mathilde ! C'est un coup de tète !
-Non crois moi j'ai murement réfléchi.
- Restez toute seule là -haut loin des tiens de ta mère ton père tes sœurs et de moi une année voire plus ! Pourquoi ? Il y a quelqu'un qui te retiens là bas ?
-Mes élèves, le village ...
-Stop Mathilde ne me dis pas de bêtises ! Partout tu retrouveras des élèves et des gens sympathiques. Ces enfants ces élèves ne sont pas ta famille .Une famille tu n'en as qu'une et un seul fiancé. Ce n'est pas la vraie raison. Mathilde . Dis -moi tu as rencontré quelqu’un ?
La jeune fille baissa la tête et lâcha ;
-Oui Léo je te dois la vérité. Je suis tombée amoureuse de quelqu'un d'autre !
-Qui est - il pour être si fort et te faire oublier ta vie d'avant , ton passé, tes parents, tes amis et bousculer tous nos projets ?
-Je n'oublie pas qui je suis d'où je viens mais voilà la vie m'a fait croiser un homme qui m'a ouvert d'autres chemins !
-Le chemin de l'exil là-bas dans ces montagnes perdues du Forez si loin de nous tous !
-Ce n'est pas si loin : à peine 80 kilomètres avec le train et l'automobile c'est plutôt une promenade.
-Une automobile ? Qui peut se payer une automobile ? Qui est cet homme et que fait- il ?
-C'est Aurélien Morel le fils de l'ancien médecin d' Usson .Il est venu remplacer son père cet hiver. C'est lui qui a retrouvé mes souliers dans la neige.
Ils en restèrent là. Léo quelques jours plus tard partit pour Paris travailler dans un grand journal et se changer l'esprit . Mathilde donna les chaussures neuves de Léo à sa sœur cadette Eugénie qui avait la même pointure. Cette dernière était amoureuse en cachette de Léo, depuis longtemps . Elle écrivit souvent au jeune stéphanois devenu parisien .
Mathilde retourna à Usson se fiança avec Aurélien et l'année suivant en 1912 l'été épousa le jeune docteur des montagnes. Elle portait ce jour là pour son mariage à ses pieds les fameuses chaussures vernies noires que son mari avait retrouvées.
Quant à Eugénie qui était devenue aussi institutrice , elle retrouva Léo venu quelques jours à Saint- Etienne . A ses pieds elle portait les chaussures de Léo. Un nouvel amour naquit et l'an suivant Eugénie épousait Léo et partait vivre à Paris .