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La route de sang et de pierre

nouvelle

Juillet 1936 début de la guerre civile d'Espagne.

Luis et Maria comme beaucoup d'espagnols décidèrent d'envoyer en France leurs trois enfants dans des colonies de vacances pour leur assurer la sécurité et leur éviter les bombardements allemands et italiens sur la capitale de la Catalogne : Barcelone.

Accueillis par la croix rouge et le secours populaire, financés par les partis de gauche et les organisations humanitaires ,les enfants passèrent l'été dans différentes régions. Les trois enfants de Luis et Maria ; Eugénia , 6 ans, Sergi 8 ans et Victor 11 ans, furent envoyés en Dordogne près de Sarlat.

L'été étant passé alors que la guerre commençait, on ne put renvoyer les enfants en Espagne et leur faire prendre un tel risque.Aussi restèrent-ils  en France. Certains furent placés dans des orphelinats, d'autres chez des particuliers, paysans , gens de la terre, les plus grands dans les usines .Les fratries furent de fait, séparées au grand dam des enfants.Mais ce n'était que provisoire ...Tout cela allait bientôt rentrer dans l'ordre  et les  petits espagnols pourraient  retrouver leur famille.

Sergi et Victor furent confiés à des paysans qui possédaient de nombreuses terres à Bergerac .Ils furent tout de suite mis au travail.Il était stipulé que ces enfants devaient fréquenter obligatoirement l'école du village.... Et ainsi après l'école ,les deux garçons aidaient à la ferme à de nombreux travaux.Les jeudis , ils n'avaient pas un moment de détente et devaient suppléer le maitre de maison qui prenait alors une pause.Le dimanche, au début, les garçons refusèrent d'aller à la messe  : ils étaient anticléricaux comme leurs parents mais ils finirent pas accepter car si non c'était encore du travail qui les attendait à la ferme.

Habillement ils arrivaient à se faufiler dans la foule des fidèles et à sortir de l’église sans être repérés.Alors pendant une heure , le temps de l'office, ils profitaient de ce temps de liberté ...

Eugénie fut confiée à un riche  couple  : le Comte et la comtesse de Castelnau en villégiature pour deux mois dans leur résidence de  Dordogne. Ce couple avait une fille Claire âgée de 8 ans très fragile à la santé incertaine.Ils choisirent Eugénie parmi les fillettes de l'orphelinat pour être » la compagnie « de leur fille . Après l'été, le couple et les fillettes  retournèrent  à Paris.

Trois ans passèrent avec  la fin de la guerre et la victoire de Franco .Février 1939 : « la Retirada. »

Les parents des enfants Luis et Maria fuirent et passèrent en février  les Pyrénées. Arrivée à Argelès dans ce camp de concentration , Maria tomba gravement malade . Elle fut hospitalisée d'urgence à Perpignan. Luis était sans nouvelle depuis trois mois .Il voulut la revoir.Il s'enfuit  et réussit à se rendre à son chevet....Hélas il fut arrêté et conduit dans la forteresse disciplinaire du château -fort de Collioure .Là il connut l'enfer, l'horreur .Il découvrit jusqu'où l'homme pouvait descendre …..Il faillit mourir sous les coups de ses geôliers : des tirailleurs sénégalais et des légionnaires complètement ivres qui pouvaient à loisir se défouler sur les Rouges Espagnols , les combattants de la liberté ! Luis résista jusqu'au bout ,assistant chaque jour à la mort de nombreux détenus .Après des articles accablants du journal " l'Humanité "et la réaction de l'opinion,  on finit par fermer ce bagne .

Luis  fut conduit au camp de Saint- Cyprien : c'était novembre 1939.

Quelque mois plus tard la France perdait la guerre.

Maria de son coté réussit à se rétablir. Elle demanda à retrouver ses enfants mais on lui conseilla d'attendre encore car sa convalescence n’était pas terminée.

Luis , lui fut enrôlé de force dans la légion étrangère pour combattre les allemands . Après la débâcle, la légion partit pour l'Afrique.Luis profita de la grande confusion de l'époque pour s'enfuir et retrouver son épouse Maria à Perpignan ..

Maria s'était fait des amis avec les gens de la Croix rouge. Ils donnèrent à Luis des papiers lui permettant de travailler  : il trouva  un emploi de garçon de café à Perpignan.

C'était les années troubles. Un jour Luis et Maria partirent récupèrer leurs enfants dont ils avaient des nouvelles grâce à la Croix rouge.Eugénie avait été remise à l' orphelinat de Dordogne après la mort de la jeune Claire .Le Comte et la comtesse s'étaient débarrassés d'elle  après le décès de leur enfant chérie. Eugénie avait beaucoup pleuré la perte de son amie .La petite réfugiée n'avait pas  souffert chez Claire ni de faim ni de froid ni de précarité ni de soins : sauf bien sur de l'absence de sa  vraie famille. Claire l’avait beaucoup aimée comme sa petite sœur mais sa maladie était incurable . Eugénie avait réussi à prolonger sa vie par sa présence sa bonne humeur ses jeux .Jamais les parents de Claire n'avaient imaginé adopter Eugénie  : elle n'était pas orpheline .

Claire leur fille unique tant aimée, désirait qu' Eugénie conservât la maison de Dordogne , là où durant trois étés elles avaient été si heureuses  .Le Comte et la comtesse n'accédèrent pas à sa demande .

Luis et Maria  rejoignirent la Dordogne pour récupérer leurs enfants . Ils se rendirent d'abord à l'orphelinat puis poursuivirent jusqu'à Bergerac  . Le fermier les accueillit farouchement : 

-Qui va me rembourser ces trois années où je les ai nourris habillés, chauffés ?  Ils doivent travailler encore  chez moi !

-Si cela vous arrange , dirent les garçons ,on peut revenir l'été de juin à septembre vous aider à faire les moissons les vendanges et autres besognes !

-Ce n'est pas assez !

-Alors combien de temps   ? S'impatienta Luis

-Ils doivent rester encore trois ans . Avec les événements mes fils vont être appelés sous les drapeaux !

- Trois ans ? s'exclama Maria au bord des larmes .

-Nous voulons bien travailler chez vous ! Proposa Luis .Ma femme peut aider à la cuisine !

Le paysan réfléchit.

- C'est d'accord !

- Où allons- nous habiter ?

-J'ai une petite masure . Réparez- la et elle est à vous !

Ils travaillèrent des journées à restaurer ce qui était une ruine en vérité mais c'était l'été , il faisait chaud, les jours étaient longs ce qui leur donnait du temps pour refaire la toiture de leur maison ...et puis ils étaient enfin réunis tous les cinq .C'est ce qui comptait par dessus tout.

Ils travaillèrent dur sans recevoir un seul centime du paysan pourtant très aisé. Comme Maria faisait la cuisine pour tous , sa famille profita des trois repas copieux chaque jour.

Quand vint l'hiver la maisonnette disposait de deux cheminées et d 'un poêle à bois .Quant au combustible , le bois, il ne manquait pas : les forets alentours appartenaient au paysan ....Pour les vêtements Maria se ravitaillait auprès de  la Croix Rouge et obtenait du tissu qu'elle transformait en vêtements  agréables  .Fine couturière et habile brodeuse,  elle savait dans un  bout de tissu , tailler une  robe, une jupe, une  chemise  .

Eugénie fut inscrite à l'école. L'année suivante Victor obtint avec mention son certificat d'études. Il voulut poursuivre mais il était espagnol et c'était le régime de Vichy .Les Rouges espagnols et leur descendance n' étaient pas les bienvenus dans le lycées !.

Pendant deux ans Luis fut tranquille  mais quand on instaura » le service obligatoire « on vint  le cherche avec Sergi pour les emmener travailler en Allemagne ,ils  échappèrent aux allemands et fuirent  avec  leur famille.

Ils retournèrent à Perpignan en pays catalan,.Le couple s'embaucha dans un café.Il y eut une rafle .Maria était partie se cacher mais Luis fut arrêté .Il n'avait pas ses papiers .Il fut embarqué avec d'autres dans un camion. Profitant  de la confusion due à un carambolage entre une charrette de mules et une voiture ,il  sauta du camion et se fondit dans la foule.

Il rejoignit son domicile .Encore une fois il leur fallait fuir.

Que faire ? Allez où ? Luis avait quelques adresses des anciens amis des brigades internationales qui s'étaient regroupés dans le maquis des Alpes . Mais il avait une famille qu'il ne pouvait laisser ainsi dans la nature sans protection ..

-La Suisse ! Là-bas ils seront en sécurité  ! Le pays est neutre et accueille déjà des réfugiés. Une fois les avoir mis à l'abri , je reviens combattre avec vous  ! »Promit- il à ses camarades .

-Quand pars tu ?

-Demain !

On passa la nuit autour d'un feu de camp  à discuter sur les événements, la guerre la philosophie .

-Pour toi  Luis ,ta route  de quoi est- elle faite  ? lui demanda  un jeune résistant .

- De de sang et de pierres ! 

-Pourquoi ?

-De sang : c'est le prix à payer pour vivre ou survivre .

-Et pourquoi de pierres ?

- Il faut être dur comme la pierre pour résister et se battre ;  saillante  comme elle pour pouvoir couper les chaines et les cordes qui nous emprisonnent ; solide pour ne pas plier afin supporter toutes les épreuves et les combats que l'on doit mener ; éternelle pour y graver dessus son  nom  son  passage  ; imperturbable  comme la volonté et l'idéal qui nous guident et donnent un sens à ton existence ! 

Epilogue Victor voulut rester avec son père pour se battre dans le maquis des Alpes contre les allemands ...

Après  la libération  de la France, Luis et Victor retournèrent en Suisse mais Maria qui avaitune bonne situation dans un grand hôtel  refusa net  de quitter la Suisse. Eugénie et Sergi  poursuivaient leurs  études dans des lycées suisses renommés  bien qu'espagnols ,refusèrent  à leur tour  de retourner en France .

La famille obtint la nationalité suisse  quelques temps après et vécurent heureuse enfin réunie  libre et tranquille ..

 

Tag(s) : #La route de sang et de pierres, #nouvelle
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