
Antonio était enfant de choeur, ainsi qu'Angel et que Tonin. Le 15 août fut célébré pieusement comme il se devait à Hécho. Après la messe il y eut comme chaque année, une grandeprocession où l'on promena Christ et statues saintes.
Les trois amis habillés de blanc, précédaient le père José, un peu sourd et un peu presbyte. Souvent il leur arrivait de chahuter et de ricaner à sa barbe. La tradition voulait qu'à tour de rôle chaque famille gardât une semaine chez elle, la statue de la Vierge. Ainsi la présence de Dieu et de ses saints était elle permanente et quotidienne chez ces montagnards aragonais. La Vierge était représentée sur un socle d'acier agenouillée, les mains jointes, le regard tourné vers le ciel. Elle était entourée de fleurs magnifiques, oeillets rouges et camélias. Il y avait aussi quatre bougies disposées au coin du plateau.

Le soir venu avant le repas, la famille se réunissait autour d'elle. La mère allumait les cierges et le plus jeune récitait une prière. Ensuite on mangeait en silence et on rendait grâce une dernière fois à Dieu... Tonin n'aimait pas la semaine où la Vierge était chez lui, à"Casa Chilica", on ne pouvait pas parler à table, ni faire de bruit.On ne mangeait pas gras, on recevait personne car la seule invitée était la Vierge. Août passa, vint septembre. Comme la tradition le voulait, chaque village d'Aragon avait ses "fêtes". Elles duraient huit jours. On s'y amusait beaucoup, on y dansait, chantait, on faisait des concours de pelote basque de course de vachettes, de "pochon", de "jotas", etc... C'était aussi un Grand Rendez-vous : celui des artistes, des entre filles et garçon, on se déclarait, on se fiançait...Pour les hommes c'était aussi ('occasion de hanter les bistrots de rire et de s'amuser.
Quant aux femmes, elles profitaient des "fêtes" pour se faire de nouvelles toilettes, pour se retrouver, pour s'inviter sans les hommes pour sortir aussi entre elles (mais dans le village)!
Les bergers sont sollicités le troisième jour pour préparer les fameuses "migas", ce plat typiquement aragonais qui est le repas favori des "pastores" de la montagne Pyrénée. Tonin avait trois frères : Lorenzo de vingt ans son aîné, Innocencio, et Francisco. Il avait aussi deux grandes soeurs : Maria et Antonia. Lorenzo avait une voix magnifique : lorsqu'il chantait le silencese faisait... c'était incontestablement le plus grand chanteur du village . Un peu fanfaron, (comme tous les Chilicas"), il aimait épater et surprendre. On arrivait difficilement à faire la part de ('imaginaire et du réel dans ses récits extravagants où tout se mêlait : fiction, vérité, émotion, surprise, passion, fou rire.... Cependant une de ses histoires demeurait exacte quant à son déroulement. Parti comme à chaque printemps pour les hauts pâturages des Pyrénées avec son troupeau et ses chiens, il s'était installé dans le refuge de "Oza" ( qui veut dire ourse en espagnol) Ce petit hameau distant de douze kilomètres de Hécho, se situe à peu près à deux mille mètres d'altitude, à quelques kilomètres à vol d'oiseau de la frontière avec la France. Lorenzo admirait le paysage qui se déployait sous ses pieds : la vallée verdoyante, où persistait ça et là des nappes de neige immaculées, le reflet du lac au loin à peine visible, le torrent qui dévalait furieusement sur les rochers étincelants... C'était midi et le soleil irradiait tout. Il y avait un silence impressionnant. Lorenzo était habitué au silence et à la solitude, la solitude des hommes de la montagne. Un berger connaît bien ce replie d'avec le monde, les humains, cette communion avec la nature avec qui il va partager une bonne partie de sa vie. Il fit donc un feu de camp pour cuire pommes de terres et côtelettes. Voilà que tout à coup les chiens de mirent à hurler à la mort.

Les moutons terrorisés s'affolèrent et s'enfuirent de tous côtés. Le précipice n'était pas loin et le jeune homme impuissant assistait à cette débandade suicidaire. Les chiens hurlèrent une assistait à cette débandade suicidaire. Les chiens hurlèrent une dernière fois et s'enfuirent à leur tour, laissant leur maître seul. Lorenzo saisit son fusil. Il ressentit dans son dos une présence. Il fit volte face courageusement : un ours blanc, adulte, de deux mètres de haut ('observait. La bête rugissante s'apprêtait à se jeter sur lui. Alors il brandit son fusil vers l' animai et le nargua.La bête se braqua, droite immense... Après quelques secondes d'hésitation , elle se calma et renonça à son funeste projet.
Lorenzo aimait conter cette mésaventure qui avait fait la "une"du comté de Huesca. Et Tonin se glorifiait d'avoir le frère le plus courageux et le plus malin de Hécho et ses environs ! Pour l'instant , Lorenzo était occupé avec les "migas". Pour faire les "migas", il faut un grand pain de campagne vieux de plusieurs jours, mais non dur. n le frotte avec de l'ail très frais. On découpe le pain en petits cubes réguliers. La coupe dure des heures : c'est de cela que dépendra la réussite des migas. On conserva le pain taillé dans une grande serviette.Puis on fait revenir dans une poêle, le chorizo, la tomate, quelques petites pommes de terre, le poivron vert, et l'huile d'olive. Quand le mélange est près, on y ajoute le pain que l'on fait cuire doucement au feu de bois. Il faut aussi arroser les migas d'eau afin qu'elles ne soient pas trop sèches. On ajoute le lard et les oignons selon le goût. Le pain était prêt. Alors les bergers découpèrent le chorizo, le lard, les pommes de terres, les tomates, l'ail,l'oignon..

.Ils se dirigèrent vers les grilles installées au fond de la place (véritables petits fours à bois). Ils firent cuire ce copieux mélange ainsi qu'une quantité invraisemblable de costillas (petites côtelettes d'agneaux délicieuses). Les jeunes gens débitèrent le jambon cru en fines tranches et braisèrent les poivrons verts et les poivrons rouges .Toutes ces odeurs alléchantes attiraient quantité de badeaux qui pour la plupart représentait une gêne pour nos vaillants cuisiniers. Alors parfois des disputes éclataient, toujours interrompues par quelques arbitres diplomates et tout se terminait par une explosion de rires...
- Les bergers, une chanson ! Les bergers une chanson! Alors Lorenzo se leva salué par une ovation générale et se mit à interpréter une des plus belles "jotas" (chanson aragonaise traditionnelle). "Quisiera ! Quisiera ! Quisiera voverme hierba .' Y subir, y subir y subir por las pareds Para ver, para ver para ver el dormir que tienes ! Quisiera! Quisiera ! Quisiera volverme hierba .... -Je voudrais je voudrais je voudrais devenir lierre. Et grimper et grimper et grimper le long des pierres Des murs de ta maison fleurie Pour te découvrir endormie. Le refrain fut repris à ('unisson, puis ce fut un tonnerre de bravos
. On débarrassa, on poussa les tables et ('orchestre put s'installer.Il faisait très doux cette nuit là. Le ciel était parsemé d'étoiles. On eut dit une prairie immense où chaque astre était une fleur lumineuse, rouge, bleue,jaune.. La lune, accrochée à ce décor semblait observer le village mystérieusement. La foule dansa jusqu'à l'aurore.