
Antonio ,Ange! et Tonin étaient encore là lorsque le jour commença à pointer. Tonin était ennuyé :
- «Je dois emmener la Vierge chez moi ! maugréait-il !
- C'est chacun son tour { Ricana Angel.
- Je sais ! Mais tout de même, je n'ai pas de chance ! Il faut que ça tombe sur moi, pendant les fêtes ! Tu connais ma mère ! Elle ne me permettra pas de rester longtemps dehors car il y aura la Vierge à la maison !
-As-tu demandé à quelqu'un de la prendre à ta place ?
- Bien sûr que j'y ai pensé ! Mais personne n'en veut ! Elle gâcherait leurs fêtes ! - «J'ai une idée ! proposa Antonio . Cache-la ,et ne dit rien à personne.
-Cà c'est pas bête ! insista Angel qui attendait la suite du pian d'Antonio.
-Oui ! camouffle-la dans le coral, près des vaches sous le tas de foin. Après les fêtes, tu la resortiras et tu la remettras au "Père " comme si de rien n'était.
- C'est pas Idiot ! réfléchit Tonin.
-Est-ce que ta mère sait que c'est le tour de la "Casa Chilica" à recevoir la Vierge ?
- Non elle n'en sait rien ! Elle ne connaît pas la date exacte et puis elle a tant de soucis en tête ! Elle n'y pense pas du tout...
- Alors ! sourit Antonio, cà peut marcher !
Ils allèrent se coucher... Dans ta journée le prêtre remit à Tonin la Vierge. Accompagné de ses compères, il guetta le moment opportun et pénétra dans te coral de la maison sans être vu et y dissimula la statuette sous un tas de paille...Après quoi, ils déguerpirent aussi discrètement qu'ils étaient venus. Les fêtes durèrent encore cinq jours. Le père «José réclama la Vierge à Tonin. Le gamin s'en retourna chez lui ! Il pénétra dans dans le coral et fouilla la paille, en vain. La Vierge avait disparue !
Terrorisé il s'enfuit à toutes jambes dans le village, à la recherche d'Angel et d'Antonio.
- La Vierge a disparu !
-Quoi ?
- Oui, elle n'est plus dans l'étable !
-As-tu bien cherché , partout ?
-Evidemment !
-Allons-y voir ! ordonna Angel .
Ils passèrent au crible toute la pièce et durent se rendre à l'évidence : la Vierge avait bel et bien disparu !
-Crois-tu qu'elle s'en soit allée toute seule ? questionna naïvement Tonîn.
-Sûr que non ! répliqua Antonio. Je suis persuadé qu'on t'a joué un tour !
-Mon Dieu ! SI c'est ma mère !
Tonin se mit à pleurnicher. En effet Juliana, mère de Tonin était une femme rude et peu maternelle; Elle avait toujours commandé la "Casa" du vivant de son mari, et après sa mort. Elle dirigeait tout : ses propriétés, ses gens, ses bêtes et ses fils. A cet instant la porte de l' entrée s'ouvrit, les trois enfants se cachèrent au fond du coral, derrière la charette. Mais les arrivants se dirigèrent vers l'escalier qui menait aux pièces d'habitation. Une fois tout danger passé, Antonio, Angel et Tonin, sortirent précipitamment.
-Qu'est-ce-que je vais bien pouvoir dire au père ? pleurnichait Tonin.
-Pour l'instant, rie.! Consola Antonio. S'il te la réclame, dis que tu as oublié, que ta mère était occupée...
Comme ils passaient sur la place, le prêtre qui se tenait sur le péron de l'église héla Tonin :
- Eh bien ! merci beaucoup ! Tu as fait vite ! Approche !

Le garçonnet stupéfait, suivit, comme dans un rêve l'homme vêtu de noir. Pénétré à l'intérieur de l'église, il découvrit la Vierge plus belle que jamais , entourée de roses rouges au parfum délicat.
- Tiens ! acheva le vieillard, voilà ta récompense. Et maintenant je te quitte, j'ai à faire, à bientôt et merci encore !
Il remit à l'enfant une grande boîte de confiseries. Incapable de prononcer un mot, Tonin balbutia quelques syllabes incompréhensibles. Dehors, Angel et Antonio l'attendaient :
- Alors ? Qu'à t-il voulu dire ? Questionna nerveusement Angel
De l'obscurité à la lumière éclatante du jour, Tonin fut étourdi.
-Ça va ? lui demandèrent ses compagnons.
- La Vierge est revenue dans l'église : elle a placée des fleurs autour d'elle, des roses...
-Quoi ? la Vierge revenue, seule -
-Allez-y ! dit Tonin dan su soupir !
Les deux garçons se précipitèrent dans l'église et découvrirent effectivement la statuette et les roses. Restés cois, ils contemplèrent quelques secondes la statue, puis s'enfuirent à toutes jambes.
-Quelqu'un t'a fait une farce ! Essaya d'expliquer Angel. Mais quelqu'un qui t'aime bien, car il a rapporté la statue avec des fleurs pour que le curé te récompense !
Ces explications ne semblaient pas convaincre l'enfant. Décontenancé, il voulait connaître coûte que coûte, le nom de son"ange gardien".
-C'est peut-être ta mère ? proposa Antonio.
- Impossible ! réagit Tonin. Elle m'aurait déjà fait payé pour avoir caché la Vierge...
- En tout cas ça ne peut être qu'un Chilica ! Opina Angel. Car il faut que ce soit quelqu'un qui ait eu accès au coral ! Qui l'utilise ?
-Il y a Lorenzo, Innocencio, et Francisco.
- Lorenzo ?
- ça m'étonnerait ! les moutons sont au pâturage. Il utilise te coral mais l'hiver. - Francisco alors ?
- Encore moins ! On le voit rarement à la maison depuis les fêtes, et même il découche.. Il est bien trop occupé avec les filles. Lui, acheter des fleurs pour la Vierge ! Il en aurait peut-être acheté mais pour les offrir à Anna Maria, ou Paquita ou Colomba !
-Alors (Tranca Angel), c'est Innocencio !
Tonin ne répondit pas. Il réfléchissait. Oui ! C'était certainement Innocencio, ce grand frère qu'il avait toujours considéré comme un second père. Lorenzo était plus âgé que lui, mais il était distant et ne s'interressait pas aux enfants et donc à son petit frère. Innocencio ne lui ressemblait pas : sympathique, ouvert, cordial, joueur ,il aimait s'amuser avec les adultes mais aussi avec les plus jeunes : il s'occupait d'activités sportives au village et entraînait à la nage, à la pelote basque beaucoup de compagnons de l'âge de Tonin . Il s'était pris d'affection pour son petit frère et l'enfant lui rendait bien cet amour.
Innocencio ne souffla mot de l'aventure de la Vierge, seulement au souper, lorsqu'il demanda si c'était bientôt le tour de la Casa Chilica" à recevoir la Vierge. Tonin rougit, et balbutia :
-Je ne sais pas ! C'est le tour de la "Casa Verdu"; Après c'est la "Casa Soledad .Personne ne porta d'intêret à cette discussion sauf bien, sur Innocencio qui ricana sous cape, devant l'embarras de Tonin..
Tonin allait sur ses dix ans. A l'école il était élève brillant mais peu appliqué. La classe comptait pas moins de cent élèves ! Et un seul instituteur ! Ce dernier avait chargé les plus grands de treize ans , bons élèves, de s'occuper des plus petits, ou des enfants en difficulté. Et l'ensemble fonctionnait malgré tout. Tonin avait une belle mémoire et l'esprit vif. Le maître connaissait son élève : il ne l'interrogeait jamais le premier car Tonin n'apprenait jamais ses leçons. Il questionnait quelques élèves avant lui, puis lui demandait de redire la leçon : ce que l'enfant faisait fort bien en y ajoutant des réflexions personnelles, des exemples. Il expliquait même en détail sans se tromper, le cours qu'il venait d'écouter deux ou trois fois avant...avec toute l'intelligence la lucidité et la sensibilité qu'était la sienne...

Ce que Tonin aimait avant tout était l'Histoire et la Géographie, mais aussi les mathématiques, et la littérature. Son cousin Angel était un des meilleurs écoliers : consciencieux, travailleur, appliqué, sérieux, il mettait à profit tout le savoir qu'il pouvait acquérir à l'école. Cependant il n'avait pas une aussi brillante mémoire que Tonin ni cette intelligence vive, fine presque insolente, de son petit cousin germain. Alors il lui fallait du temps pour assimiler, comprendre et apprendre... Mais il était courageux et patient et ses résultats étaient, alors excellents. Quant à Antonio, l'école et les études n'étaient pas faites pour lui. A onze ans il lisait mal et traînait dans le peloton de queue. Par contre il avait une belle imagination et jouait à merveille de la manduria et de la guitare, même du violon sans connaître une seule note de musique. Avec Tonin ils s'entrainaient à écrire des poèmes .
Les trois gamins faisaient parti du groupe théâtral de l'école.Tonin était très doué pour la diction. Il savait saisir un poème un récit, un texte interpréter un rôle avec la sensibilité,.
Antonio et Angel et Tonin s'étaient mis en tête d'écrire une oeuvre commune tragique dont l'héroine serait Elisa, une fillette de dix ans, dont tous les garçons étaient amoureux:
"Un horrible prince sans fortune capturerait la divine princesse Aurore, et s'apprêterait à l'épouser par force, lorsque surgirait de l'ombre le preu chevalier Juan, accompagné de son fidèle écuyer-troubadour..... Après un terrible combat, le vaillant chevalier tuerait le traître, mais blessé il serait ramené en sa demeure par l'écuyer. La belle demoiselle, éblouïe par la beauté du troubadour, choisirait son amour abandonnant richesse et gloire. Fou de rage, le chevalier Juan, retrouverait les amoureux et assassinerait le poète. La princesse se laisserait mourir de chagrin au haut d'une tour.."...

Convaincus de l'originalité grandiose de leur oeuvre, ils la présentèrent au maître qui accepta le projet : Tonin était chargé d'écrire le scénario et les dialogues, Angel s'occuperait de la partie technique et pratique, récupérant étoffes, matériel, accessoire nécessaires pour la pièce. Il avait su motiver les vieilles dames de Hecho qui avaient cousu pour les jeunes gens les costumes de scène.. Antonio, lui avait composé avec l'aide de Tonin les textes des chansons , la musique était de sa composition personnelle. Il s'entrainait à la manduria à la guitare et au violon des heures durant.
. Le vieux Célestino lui avait donné son violon : ce brave homme était l'ancien alcalde du village. Dans le temps il avait exercé le métier d'instituteur. Très instruit il était un adepte de la musique classique. Il avait été très ému par le génie d'Antonio et l'avait pris comme élève. L'enfant l'adorait et trouvait en lui le père qu'il aurait aimé avoir. Grâce à Célestino, il composa la musique, pour la belle princesse "Aurore".
"C'est l'histoire triste et belle d'un extraordinaire amour, qui unit une Demoiselle à son troubadour. Une matinée de brume Ça Dame fut enlevée par un prince sans fortune qui voulut l'épouser. Armé de mille vaillance, apparut le chevalier Juan qui gagna la délivrance de la belle aimée. Son fidèle serviteur troubadour-écuyer lmena en la demeure le chevalier, blessé. Mais la belle et douce Aurore préféra le grand amour, à l'argent, la gloire et à l'or, du jeune troubadour.Ils s'enfuirent tous deux pour un voyage sans retour dans une nuit profonde et tendre : une nuit d'amour.Mais Juan le téméraire les retrouva tous deux Et occit de son fer l'écuyer malheureux La belle et douce Aurore, se cloîtra au haut d'une tour languissant de chagrin, de douleur ,Elle se laissa mourir d'amour."
Mais les choses n'allèrent pas comme prévu : Elisa le jour de la représentation eut une forte angine et ne put jouer son rôle.Le spectacle était compromis.Une camarade d'école, Enrica, désirait secrètement être l'héroïne de l'histoire. Elle était amoureuse d' Angel et cherchait toutes les occasions pour se trouver auprès de lui. Elle avait suivi toutes les répétitions et connaissait le texte d'Eisa par coeur ! Cependant il y avait un petit détail gênant tout de même : elle ne correspondait pas physiquement à l'image que l'on peut se faire de "la princesse" : très rondelette, elle était très mal à l'aise dans ses vêtements. De plus timide et rougissante, on ne comprenait pas souvent ce que sa bouche pouvait bien vouloir dire ! Mais il fallait bien faire quelque chose : le maître et le vieux Célestino prirent la décision de remplacer Elisa par Enrica. La jeune timide hésitait mais Innocencio sut trouver les arguments :

-Tu sais, Enrica, Angel est amoureux de toi !
-Ah vraiment ? Pourtant il ne me regarde jamais !
-C'est qu'il est trop timide et bien élevé ! Mais il m'a fait ses confidences: il m'a dit qu'il aimerait te voir dans le rôle de la princesse !
Enrica très heureuse, alors accepta. La jolie robe blanche cousue par les dames de Hecho était bien trop étroite pour elle ! Elle ressemblait à une grosse outre endimanchée. La coiffe haute était trop petite pour sa grosse tête et faisait ressortir ses grosses joues rouges de paysanne. Les souliers trop hauts la blessaient et l'empêchaient de se mouvoir. Affublée de la sorte, l'enfant fit son apparition sur scène alors qu'Antonio interprétait une douce mélodie écrite en duo avec Tonin :
-"Oh douce princesse, légère comme l'air, fragile comme la rose, belle comme le jour ! Que votre fine silhouette apparaisse pour combler d'allegresse un coeur meurtri d'amour" !
Ce fut un ouragan de rires. Le sang monta à la tête d'Enrica qui se prit les pieds dans sa robe et s'étalla de tout son long. Angel l'aida à se relever et enchaînait dans le rôle du prince sans fortune :
-Je vous épouserai malgré vous ! M'entendez-vous !
Enrica bégaya. Le public ne la ménagea pas. Elle fut prise de panique et oublia soudain son texte. Plus écarlate que jamais, elle resta inerte sur scène puis se mit à improviser. Elle saisit Angel par le cou et se mit à l'embrasser. Stupéfait il ne réagit pas puis se mit à se débattre alors que la salle criait :
-"Encore ! Encore!
Puis apparut Tonin, le preu chevalier et Antonio, l'écuyer-troubadour avec sa manduria. Rien à faire Enrica ne voulait pas d'eux et poursuivait Angel sur les planches. Alors Angel sauta dans la salle et s'enfuit parmi les gens qui l'acclamaient. Tonin et Antonio décontenancés, assistaient à l'horrible dénouement de leur oeuvre littéraire artistique ! Alors dans un sursaut Antonio, interpréta ses belles chansons qui furent reprises à l'unisson. Puis le maître fit baisser le rideau. Nos amis furent copieusement applaudis sauf Angel et Enrica qui avaient disparu .
La population fit un ban pour nos auteurs-comédiens qui furent portés en triomphe. On parla longtemps dans le village de la "fameuse pièce" des trois garçons et du fol amour d'Enrica pour Angel.....
-Angel voila ton avenir assuré ! Railla encore une fois, Innocencio. Enrica fait parti d'une "casa" riche. En perspective les choses semblent bien engagées. Vous attendrez quand même quelques années avant de vous mettre ensemble , n'est-ce-pas ?
Quelques mois plus tard, Innocencio s'installait à Puente la Reina (Le Pont de la Reine), chez une amie Gracia, qui était une jeune veuve avec deux enfants. Gracia était une femme courageuse et intelligente. Lorsque' ils s'étaient rencontrés pour la première fois à Jaca dans une réunion publique, les deux jeunes gens étaient tombés amoureux l'un de l'autre. La mère d'Innocencio n'approuvait pas cette liaison. Elle pensait beaucoup de mal de Gracia, et la considérait comme une "catin" : une femme honnête n' assiste pas à des réunions d'hommes surtout si elle a perdu récemment son mari ! pensait elle .Mais personne n'aurait pu, ni su détourner Innocencio de son amour et de ses convictions. Il avait choisi de couper avec sa famille et de travailler pour l'instant en temps que bucheron chauffeur.