
L'histoire se passe à la Jasserie à 6 kilomètres du Bessat, dans le Pilat ,un 31
décembre 1925 à plus de 1300 mètres d'altitude.
Il y a un siècle, les hivers étaient rudes dans tout le pays ,et particulièrement
dans le Pilat. La neige tombait abondamment jusqu'à près de 10 mètres . Des histoires nous racontent que tout le village du Bessat à 1200 mètres d'altitude avait été « englouti « un mois de janvier, sous la poudreuse qui avait atteint le sommet du clocher !!!!
Ma mère , tout enfant qui habitait au pied du Pilat dans la vallée du Gier , se souvenait qu'il faisait si froid dans sa baraque du boulevard d'Izieux ,que pour se réchauffer dans son lit , elle mettait ,sur elle, un matelas ...
Si le froid et la neige n'étaient pas les bienvenus pour la majorité de la population ligérienne, ils étaient le bonheur de ces quelques citadins de Saint-Etienne et de Lyon qui savouraient les plaisirs des sports d'hiver. La Jasserie était d'ailleurs un domaine skiable fort apprécié. Les moyens de transports étant ce qu'ils étaient à l'époque , accéder aux Alpes en cette période de l'année relevait de l’exploit ou de l'inconscience. Le Pilat et son haut niveau d'enneigement ,devint dès lors, un site prisé pour les adeptes de la glisse. Des compétitions internationales s'y déroulèrent. La « Jasserie » : ferme auberge, se transforma en centre de location de skis, restaurant, hôtel et refuge. Desremonte -pentes furent installés dès les années 1920, remplaçant les chevaux -ski, et les traîneaux.

Histoire de la mule de maitre Nantin
Voici l'histoire que Mariette rapporta à ma mère petite écolière : celle d'un de ses oncles vivant dans la montagne. Nous l’appellerons : Nantin
Nous étions le 31 décembre 1925.L'hiver précoce s'était déjà installé début novembre, un bel hiver froid mais sec et lumineux. Toute la semaine avant le
jour de l'an, le soleil avait réchauffé les versants enneigés. Le ciel d'un bleu limpide ajoutait au paysage immaculé ,sa touche féerique de carte postale.

Maître Nantin était un habile sabotier . Il demeurait au bourg du Bessat . Il lui arrivait aussi de livrer le vin » dans les hameaux et à la Jasserie et de faire suivre le courrier .Il possédait une antique charrette dite « voiture » tirée par une mule à la personnalité bien trempée. Nantin l'avait prise toute jeunette etl'avait baptisée Julie , la « belle Julie » du nom de sa compagne l'avait quitté pour partir vivre à la ville !
De bon matin Nantin chargea trois tonneaux de vin, récupéra le courrier et partit ce 31 décembre . Notre homme arriva prestement au Chaubouret et prit le raccourci à travers bois pour rejoindre la Jasserie. Il devait livrer le vin pour la Saint -Sylvestre à l’hôtel, où bon nombre de skieurs de la région y séjournaient. Ce matin, le soleil ne s'était pas montré comme à l'accoutumé, caché derrière de gros nuages. Un brouillard épais s'était abattu sur le paysage. Qu'importe ! Nantin connaissait la route par choeur et sa mule aussi ! Après un bon kilomètre l'équipage arriva à la première ferme . .
On offrit à l'homme de quoi se réchauffer : le vin chaud, le lard la patate et la « niôle » : le marc (eau de vie distillée avec de la poire ou de la pomme ). Nantin reprit la route tout joyeux... La neige alors se mit à tomber drue épaissefroide formant un véritable rideau. La mule courageuse, continua son chemin encore un bon kilomètre jusqu'à la seconde ferme

Nantin s’arrêta et fut l'invité de
ses hôtes. Il se réchauffa et but café et rhum plus que de raison. Il en avait
oublié sa mule ,qui dehors bravait la neige et le vent glacial. La bête
énervée de ne point voir son maître réapparaître, se mit à braire et à gesticuler dans tous les sens. Tant et si bien ,qu'un des tonneaux mal amarré ,tomba à terre délivrant un précieux breuvage que notre coquine ne manqua pas d'apprécier en le happant goulûment. Elle but bien 3 litres de bon vin !
Lorsque Nantin réapparut, il était bien éméché et ne remarqua rien. Il remonta dans la carriole et reprit les rênes de la mule . Il neigeait de plus en plus..Nantin incapable de se
retrouver , et ne pouvait plus compter sur la belle Julie qui « devenue folle » à cause
du vin, marchait en titubant et en sautillant sans direction précise
.Nantin tourna en rond deux heures.

De la seconde ferme ,Nantin n'était plus qu'à un kilomètre de la Jasserie et aurait dut arriver une demi heure plus tard. L’homme et la bête s'étaient bel et bien perdus ! La nuit à présent descendait !
Passer la nuit dehors par ce froid était un risque majeur pour l'homme ..C'est alors que sortit du
brouillard un grand homme jeune en costume de sport d'hiver :
-Holla ! S'écria Nantin ,effrayé.
-Holla ! Lui répondit l'homme au large sourire. Je cherche ma route pour la
Jasserie. Je me suis égaré dans ces bois...je cherchais des pistes pour des
randonnées en traîneau de chiens !
-Moi aussi je cherche la même route ! lui dit Nantin. Je suis perdu. Montez ! Proposa Nantin qui se sentait plus rassuré d'avoir une compagnie humaine auprès de lui.
L'homme s'exécuta et lui dit :
--J'ai ma boussole ! Repérons le nord et nous suivrons la bonne direction.
La voiture repartit mais au bout d 'un quart d'heure ,la congère obstrua le
chemin .Impossible de passer .
-Il faut finir à pied ! dit l'homme.
-Et mon chargement? S'inquiéta Nantin. On m'attend !

-Je pense qu'il peut attendre demain car nous ne pouvons le porter , à deux !Il est
trop lourd et chaque minute compte ! La nuit va tomber d'un coup. Laissez ici vos tonneaux et le reste !
-Et ma mule ? Questionna Nantin .
-Laissons -la l ,aussi ! Que peut -il lui arriver ? Rien !
-Je continue avec vous mais je reviendrai la chercher avec de l'aide!Trancha
Nantin.
Puis s'adressa à la « la belle Julie » :
-Je reviens ! Ne crains rien ! Je reviens te chercher !
La mule approuva d'un signe de tête..
Les deux hommes disparurent dans le brouillard .Au bout de dix minutes Nantin voulut faire demi tour et aller chercher la mule .
-Si vous retournez vous risquez de mourir de froid . Si nous continuons nous avons une chance de nous en sortir ! Expliqua le sportif.
Nantin comprit qu'il n'avait pas d'autre choix que celui de suivre cet homme
que la providence avait mis sur sa route.La neige ne cessait de tomber froide et dense..
Ils continuèrent ainsi une petite heure, et ils virent enfin au loin des lumières.
-ça y est nous y sommes ! Sauvés ! dit le skieur ! La Jasserie.

-Merci dit Nantin à l'homme . Mais je m’inquiète pour ma mule, mes tonneaux
et le courrier !
-Bah ! Personne ne va boire votre vin et personne cette nuit et personne ne lira vos lettres !
Reposez -vous !Vous en avez grandement besoin !Eh qui sait peut
être que la coquine (en parlant de la mule) a un plan b de sauvetage ! Acheva
le jeune homme en riant !
Les deux rescapés trouvèrent refuge dans la ferme auberge et leurs propriétaires
proposèrent à Nantin des vêtements secs, de la nourriture et un coin où se
reposer pour la nuit..
Le jeune sportif ne savait pas si bien dire en parlant de la mule !

La belle Julie abandonnée, au bout d’une bonne heure d’attente, s'impatienta et réussit à détacher son harnais. Elle se précipita sur les tonneaux les fit tomber et les éventra de ses sabots. Puis elle savoura ce délicieux breuvage... Complètement ivre, la bête réussit néanmoins à rejoindre la Jasserie et on ne sait comment.
Elle se retrouva en haut de la piste du pré, et par malchance accrocha son harnais au remonte- pente recouvert de neige .Le frein gelé empêchait tout mouvement de l'engin. La belle Julie immobilisée ,se mit alors à braire de toutes ses forces. Nantin sortit précipitamment ravi de retrouver sa mule !
Maisles hommes le retinrent et le dissuadèrent de grimper par ce froid et dans la nuit tout en haut de la piste :
-La mule ne craint rien ! Demain tu la retrouveras !
D'ailleurs la belle Julie ne brayait plus et s'était assoupie.
Rassuré Nantin put se restaurer et se coucher, apaisé.
La nuit fila d'un trait. Il se passa un phénomène étrange qui arriva parfois dans cette région du Pilat au solstice d'hiver : « le dernier salut de l'été. » Un vent chaud venu du sud qui souffle quelques heures faisant monter spectaculairement les températures au dessus de zéro et qui fait fondre en quelques heures toute la neige, lissant ainsi le paysage!
Au petit matin il ne restait que très peu de neige sur les pistes de la Jasserie .C'est alors qu'on entendit des bruits stridents accompagnés de braillements.

Le spectacle
était digne d'un des plus grands films comiques ! « La belle Julie » attachée par
son harnais au remonte -pente, descendait et glissait le long de la piste et la
remontait aussitôt. L’exercice recommença dix fois sous les rires ,les hourras et
les cris de la pauvre bête qui au bout de trois descendes ,en prit son parti et ne
brailla plus !
-Détachez là ! hurlait Nantin qui lui ne riait pas ! Détachez la ! Elle va tomber !
On arriva enfin à arrêter le remonte- pente, et à libérer la" belle Julie "qui sans
remercier ses sauveurs ,fendit la foule et s'enfuit dans le bois voisin. La foule
ahurie ne se tenait plus de rire.
-Vendez - là à un cirque ! Vous en retirer une fortune ! Lui disait -on
-Ouvrons une nouvelle épreuve olympique ! Souffla le jeune sportif de la
veille : « le ski animal « !
Tous riaient de plus bel !

En fait, le remonte pente auquel s'était accrochée malencontreusement la nuit dernière la mule , avait été mis en route par elle-même .Le frein du moteur gelé s'étant dégelé pendant la nuit, ( la température était remonté à six degrés au-dessus de zéro,) ce dit frein, avait été actionné par la bête qui tentait de se libérer du harnais accroché au frein. En y tirant dessus ,elle n'avait pas réussi à se libérer mais avait débloqué le frein qui du coup ,avait permis au remonte pente de se mettre en mouvement. La suite nous la connaissons : « La belle Julie fait du ski » !
Plus tard Nantin récupéra sa mule.

L'histoire fit le tour du Pilat et descendit
jusqu'à Saint Chamond et le Jarez.
On dit que l'homme et la bête continuèrent à goûter aux délices des breuvage des vignes . Nul ne sut jamais qui des deux « la belle Julie » ou Maître Nantin , était le plus grand buveur du Pilat !
Nous vous invitons à retrouver toutes noslégendes du dans notre livre" Contes et légendes du Pilat du Gier et du Jarez "
