Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le clavecin des dames

et d'Elena le jeune juive

nouvelle


Musée d'art et d'industrie de Saint-Etienne dans la Loire .

Salle du« clavecin«

.
« Comme il fait noir dans cette pièce qui ne s'éclaire que lorsqu'une personne veut bien y pénétrer . Encore des visiteurs qui me scrutent comme une chose curieuse !
Placé dans cette prison de verre , que craignent- ils ? Que je m'évade ? Ah s'ils savaient combien j'ai eu d'admirateurs ! Moi le plus beau clavecin de la cour de Versailles ! J 'étais entouré de princes, et ma maîtresse n'était autre qu'Henriette ,la fille du Roi !
Laissez- moi vous conter ma vie : la vie d'un clavecin qui a voyagé pendant270 ans. Laissez moi revivre pour vous l'époque de ma gloire , mais aussi celle de ces heures dramatiques où tout a basculé autour de moi .


Je suis né à Paris en 1747 dans l' atelier d'art de maître Amédée Richard célèbre artisan« facteur » de clavecins qui travaillait avec un peintre italien : Arno Richianello. Je fus destiné à être le « cadeau d'anniversaire » de la fille de notre roi bien aimé Louis XV. Le Roi ordonna que les décors sur mon couvercle et sur mon châssis représentent les motifs raffinés des estampes chinoises.
Maitre Arno dessina mes oiseaux et mes arbres avec beaucoup de talent .

Sur fond de laque noire rouge et or, ma parure était resplendissante !Mes pieds tournés sculptés dorés , feront de moi un des plus beaux objets d'apparat. Pour mon clavier et ma caisse de résonance ,maître Amédée avait choisi un bois massif de chêne. Mes touches blanches furent plaquées avec de l'ivoire et mes touches noires aillées dans du bois venu d'Afrique : le bois d'ébène. On décida que ce même bois envelopperait mon pourtour d'un écrin tel un long manteau.
J'étais à côté de l'atelier et j'entendais le bois gémir chaque fois qu'on le lustrait, et qu'on rabotait les madriers. C'était un long soupir suivi d'un sifflement. J’avais ouï les propos des compagnons-artisans .Ils évoquaient des légendes selon lesquelles le bois d'ébène était vivant et aurait une âme. Sa sève serait le sang des « hommes-arbres ». Ils ajoutaient qu'il ne fallait pas travailler ce bois car cela le faisait souffrir et porterait malheur à celui qui l'approcherait .J'entendis maître Amédée hurler de colère et renvoyer les compagnons les plus habiles pour avoir tenu de tels propos.
Qu'importait pour moi toutes ces balivernes et ces superstitions ! ! Je serai bientôt le plus beau bijou de la cour ! Et c'était cela le plus important !
On me patina, et lustra , ce qui me donna l'éclat d'un miroir. .Avant mon départ, un concertiste célèbre vérifia la justesse de chacune de mes notes . Enfin on m'enveloppa dans des couvertures épaisses. On m'installa dans une charrette qui se déplaça lentement de Paris à Versailles . Arrivé à la Cour ,on me porta avec délicatesse dans le joli salon de réception. On vint encore me dépoussiérer et je dus attendre la fin de la journée pour être présenté à Henriette .Oh la joie de notre jolie princesse qui fêtait ses vingt ans ! Elle s'assied avec tant de grâce devant moi et se mit à jouer des comptines enfantines .Elle chantait si bien . Tout le monde m'admirait ! J'étais le centre du monde !


Hélas ce bonheur ne fut que de courte durée ! Cinq années étaient passées lorsque Henriette mourut. Notre Roi décida que personne ne jouerait plus du clavecin car j'étais l'objet de sa fille vivante comme morte. Je fus installé dans un cabinet ,sorte de petite chapelle où prônait une toile représentant Henriette dans toute sa beauté , éclairée par deux cierges . J'y restais plus de trente ans ! Abandonné et condamné au silence

.Vint à Versailles une toute jeune Reine : Marie Antoinette . Elle me découvrit et s'étonna de ma présence dans ce cabinet oublié . Elle me fit installer dans son petit salon privé et me fit accorder par un jeune musicien virtuose . Je n'avais rien perdu de ma tonalité harmonieuse

. Marie Antoinette fut charmée et prit des cours avec ce séduisant accordeur de clavecin. Tous deux s'éprirent l'un de l'autre ! Le Roi Louis XVI ne faisait pas grand cas alors, de sa jeune épousée...L' idylle dura des mois et un jour,le roi ,renvoya le musicien .Marie Antoinette en fut très chagrinée et m'ignora longtemps.

Une nuit j'entendis des cris, des feux, toute une populace en furie vint chercher la famille royale pour la conduire à Paris. Je ne sais ce qui se passa .Le château fut occupé par des Révolutionnaires .

J'avais grand peur ! Mais il n'y eut ni pillage ni destruction. Je fus conduit comme le mobilier royal ,au musée du Louvre. J'appris plus tard que le Roi et la Reine avaient
été guillotinés. La terreur m'envahit .Mais personne ne s’intéressa à moi.
Le temps passa encore .


Un jour une femme coquette qu'on appelait Joséphine me découvrit .Elle me fit venir auprès d'elle . Son époux , très amoureux , était l'Empereur . Sans que je comprenne , le couple divorça et une autre impératrice prit la place de Joséphine. Passa encore le temps .L'Empereur fut vaincu et de nouveaux rois prirent le pouvoir : Louis XVIII, Charles X et Louis Philippe. Je suivais de très loin tous ces événements. . Puis revint l'empire avec une nouvelle impératrice Eugénie. Cette dernière était fascinée par Marie Antoinette . Elle favorisa le style Louis XVI dans l'art et le mobilier . Elle meubla les Tuileries et Fontainebleau avec des meubles de Versailles de l'époque de la Reine guillotinée . Elle me fit venir et m'installa dans un des ses beaux salons.


Ah comme Eugénie aimait la musique ! Ah les bals de l'empire, les belle  dames en robes à crinolines valsant aux bras des militaires ! Mais cela ne dura pas ! La guerre de 1870 arrêta net ce faste. L'empereur fut fait  prisonnier . Eugénie dut s'exiler en Angleterre !
Quelle étrangeté et ressemblance de destins pour celles qui me furent si chères : deux impératrices déchues, une reine guillotinée, une princesse emportée par la maladie !
Les artisans ingénieux auraient- ils eu raison ? Le bois dont été fait mon coffre , serait -il maléfique à celle ou celui qui le toucherait ?
Revenons à notre histoire .Les Prussiens sont à nos portes ! Le peuple de Paris se soulève ! C'est la Commune ! Ouvriers artisans s'organisent en comités et dirigent la ville. On partage le pain on décide en assemblée de l’avenir. Mais il faut des armes et de l'argent pour combattre les autrichiens mais aussi les « traîtres » : « les Versaillais » !
Les communards s'emparent des biens du couple impérial pour les vendre contre des armes . Un armurier est à Paris .Il vient de Province d'une ville qui s'appelait : « Armeville ». Il peut fournir des fusils contre un échange et l'objet de l'échange , c'est moi ! Il veut m’offrir à sa fille unique ,Jeanne .
-Non ! s'émut une jeune institutrice, nommée Louise ! Nous ne pouvons brader cet objet ! Il fait parti du patrimoine de tous ! La richesse de nos enfants !
-A quoi nous servira t-il s'il n'y a plus de République du peuple ? Réplique Théo, son ami.
On n'écoute pas Louise . Je suis vendu à ce riche industriel qui prend grand soin de moi , d'ailleurs. On m'enveloppe et me voilà parti. On me livre dans une très belle maison de Saint-Etienne . Je suis installé dans un salon clair .Une jeune fille s'approche de moi : c'est Jeanne ! Elle joue si bien, si doucement !
Elle est heureuse, maman est heureuse , je suis heureux ! Mais ce bonheur ne dure pas deux ans . Jeanne atteinte d'une grave phtisie fut envoyée dans un un sanatorium.
Rien y fait ! Elle meurt. Elle n'avait pas dix huit ans ! Sa mère dévastée la suit quelques mois plus tard ! Le père accablé de chagrin m'installe dans une pièce inoccupée pour ne
plus me voir, tant je lui rappelle de souvenirs.


Vingt ans se sont écoulés .L'armurier malade et sans héritier va mourir . Il a fait son testament : tous ses biens iront aux associations  caritatives . Moi, il me lègue ,au musée d'art et d'industrie de sa ville . Je suis placé dans une belle pièce : au dessus de moi, des peintures,des objets décoratifs. On me rend visite.
La première guerre mondiale éclate. J'entends parler les femmes qu icraignent pour leur époux. Puis la fête des vainqueurs ! La fête ici dans le musée, avec les drapeaux ! Mais cela n'est que de courte durée .Eclate la seconde guerre et là tout chavire.

Elena la jeune virtuose  juive

La jeune Eléna si jolie, travaille ici au musée comme assistante du conservateur . Comme je l'aime si courageuse.
Je crois qu'elle est juive ! Je ne comprends pas cette haine des juifs Elle me soigne, me parle , m'asticote, me caresse de ses petits doigts ! Elle me sourit et joue si bien sur mon clavier .Elle glisse de temps en temps dans mon coffre, des lettres .Oh non pas pour moi ! Ni pour un
amoureux ! « Mais pour ses amis qui luttent contre l’occupant « me dit -elle !
Deux fois par semaine un homme, jamais le même m'approche , scrute autour de lui , soulève avec précaution mon coffre et saisit le document qui s'y trouve ! Cela a duré un an. Un jour des voix étrangères s'approchèrent de moi . La musique étant une langage universel ,je peux comprendre toutes les langues . Ces hommes sont habillés de bottes et d'uniformes noirs brodés de croix gammées .Ils veulent tendre un piège à Eléna .Ils se dissimulent dans un recoin.
Alors ,avant l'arrivée d'Eléna, je bloque le coffre . La voilà ! Heureusement, elle n'a pas de lettre ! Elle s' assoit comme d'habitude , essaye de jouer. Impossible !

Les touches ne produisent aucun son. Soudain , le bois d'ébène du coffre émet un long gémissement étrange ,presque humain .Eléna a compris.

Tranquillement elle se lève, et quitte la pièce. Les militaires
l'observent . Elle a le temps de s'éclipser par une porte dérobée .

Je ne l'ai pas revue pendant deux ans et le jour de la libération de Saint-Etienne , elle est venue me remercier. Elle est partie vivre en Amérique .Elle vient me voir chaque fois qu'elle se rend en France.

Quelque temps plus tard , on m'oublia.
Trente années passèrent et on se souvint de moi et on me restaura .

Me voici, à présent enfermé privé de la lumière , moi qui ai vu le soleil  briller  tant de fois ! Je suis presque mort, enterré dans ce cercueil de verre !
De grâce ,visiteurs posez sur moi un regard bienveillant ! Faites- moi revivre dans vos images, vos livres ! Redonnez vie à celui qui fut « Le Clavecin des Dames » et d'Eléna .

 

Tag(s) : #le clavecin des dames et d'Elena, #nouvelle
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :