conte de la courte paille
Don Alessandro
Don Alessandro était le nom que tous lui donnaient à Venise en souvenir de ses origines espagnoles. Sa famille des artistes venus de Grenade au siècle dernier s'étaient fait un nom dans la cité « Sérénissime »..Très instruit et respecté il avait fait fortune et côtoyait toute la haute société des notables d' avant la guerre. Pendant la période fasciste, il avait protégé des juifs du ghetto de Venise en plein coeur du Cannaregio.
Ce ghetto construit depuis 1516 existe toujours. Les juifs de Venise pendant la seconde guerre mondiale furent déportés , peu survécurent aux camps de la mort.
Alessandro cacha plusieurs dizaines de familles avec l'aide de certaines personnalités comme le Comte Massimo de Castello dont nous parlerons plus loin et de jeunes résistants comme Pietro, l'époux de sa nièce.
Eléna expliqua la situation à son mari .Il l 'écouta, puis se rendit dans le grand salon. Là se tenait Luigia tremblante, et les deux enfants très intimidés.
-Bonjour mon oncle ! Balbutia Luigia.
Luigia s'approcha pour l'embrasser. L'homme la repoussa :
-Sans nouvelle de toi depuis des années ? Et Pietro resté en Algérie !
Eléna enchaîna:
-Alessandro ils ont fait un long voyage, les enfants sont fatigués !
L'oncle observa le garçonnet et la petite fille immobiles.
-Mon oncle je vous présente Maxime, et ma petite fille Alessandra
-Alessandra ?
-Oui mon oncle je tenais à ce qu'elle s'appelle comme vous ?
-Approchez !
Les enfants firent quelques pas. L'oncle les observa.
-Ma foi c'est le portrait craché de Pietro : tous les deux, les mêmes yeux bleus, les mêmes cheveux bonds !
-Mon oncle ! s'écria la petite Alessandra je ressemble aussi à maman !
Le visage de l'oncle se détendit .
-Et je sais faire toutes les choses que maman sait faire : la musique, danser, peindre...
-Oh oui je vois bien que tu ressembles à ta maman ! Tu as la langue bien pendue !
Rétorqua Alessandro.
-Je vous ressemble aussi mon oncle ! dit encore la petite ! Vous aimez les belles choses et j'aime les belles choses. On dit que vous avez mauvais caractère mais moi aussi je peux avoir mauvais caractère et je crie souvent !
A ces paroles l'oncle s 'esclaffa :
-Ma foi c'est vrai ! Tu fais bien partie de la famille !
Il s'était radouci devant ce petit furibond.
Eléna profitant du moment , dit :
-Allez embrassez votre grand oncle !
Alessandro ne put refuser puis ajouta :
-Nous allons souper ! Si tu le veux tu peux rester ici cette nuit et même la semaine .Par la suite ,tu décideras : t'installer ici ou dans l'appartement d'Elena. Nous verrons demain pour la scolarité de tes enfants, et pour tout le reste.
Le dîner fut servi dans la grande salle à manger. Puis Luigia et ses enfants allèrent se coucher , épuisés par le voyage et les émotions.
Le lendemain après le petit déjeuner, Don Alessandro convoqua sa nièce et les enfants dans la bibliothèque :
-Parlons de choses importantes ! . Ici tout le monde travaille : à la galerie, à l'atelier au magasin ou à l’école. Pas de fainéant chez moi ! Que comptes -tu faire Luigia ?
-Ma foi je compte chercher du travail et exercer ma profession comme restauratrice d'objet d'art comme quand j'étais jeune fille. Je voudrais ,reprendre le travail sur la porcelaine le cristal et la dentelle à Burino et à Murano dans des ateliers et galeries.
-Je te propose de reprendre ton travail dans mon atelier et ma galerie ! J'ai besoin d'une artiste maschereri qui s'y connaisse en fabrication de masques modernes et en restauration de masques anciens . C'est une demande récente : les collectionneurs du monde entier se sont passionnés pour ces objets .J'ai une très grosse commande : une collection de 100 masques du XVIII que je dois livrer en fin d'année. Veux- tu travailler avec moi et pour moi ? Ton salaire sera convenable et les horaires rigoureux comme tu sais. Pour tes enfants, ils seront demi-pensionnaires et rentreront après 16 heures. C'est plus simple pour tout le monde, eux et nous. Ainsi tu pourras profiter d'eux en fin de journée et suivre leur scolarité. Bien sur le dimanche nous sommes fermés. Le samedi après midi, tu auras carte blanche. Es -tu d'accord ?
-Oui mon oncle ! S'esclaffa Luigia. Merci !
-Ah autre chose ! Je vais prendre rendez -vous pour Maxime avec le recteur du collège San Francesco di Paola. C'est un ami. Je compte l'inscrire dans cet institut très renommé .Je doute de son niveau !
-Mon oncle ! dit Maxime. Je connais plein de choses ! A Oran à l'école française j'étais le premier de la classe. Je parle aussi bien le français l'italien et l'espagnol.
– Nous verrons demain ! Dit l'oncle
– C'est vrai ! Dit Luigia .Il était toujours au-dessus des autres et c'est lui qui aidait ses camarades !
Don Alessandro qui connaissait très bien l'espagnol par ses parents qui le parlaient à la maison et le français pour l'avoir étudié et surtout pratiqué avec des amis français pendant la guerre, se mit à lui parler d'abord en espagnol
– Cuantos anos tienes ? Come se llamas tu hermana ? Donde esta tu padre ?
Maxime répondit à toutes les questions avec un espagnol parfait. L.'oncle alors le questionna en français:
– Ti piace Venezia ? Per te cuella e l'iglésia pui meravigliosa de la cita ? Come si chiama tu sorella ???…
Maxime répondit aussi bien.
– Et moi ? Dit Alessandra ! Je veux aussi aller à l'école !
– J'y ai pensé ! Expliqua l'oncle Alessandro .Tu iras au collège de Santa Maria dei Miracoli , qui se trouve à quelques pas de chez nous !
Luigia avait démarré une nouvelle vie. : elle exercerait le métier qui la passionnait.
Cette artiste peintre retrouva ses pinceaux et ses peintures avec une grande émotion.
Les jours passèrent un mois, deux mois.
C'était un samedi après midi d'octobre, un de ces jours où le vent froid frappe aux vitres, déversant une pluie qui vous traverse jusqu'aux os. Les enfants étaient restés dans l'atelier bien au chaud au fond du magasin d'antiquité auprès de leur mère, occupée à la restauration de masque. Ils s'étaient installé sur un établi et peignaient pour se distraire des masques de porcelaine fendus ou ébréchés
C'est alors que pénétra dans la boutique un homme de très haute stature , très bien vêtu.