conte de la courte paille
Colomba (8ème chapitre et fin)
Le Carnaval de Venise devait avoir lieu dans quelques semaines. Tous s'affairaient pour le grand événement. On venait d'avoir des nouvelles de Pietro : pas vraiment bonnes : Pietro avait était mis en prison accusé d'avoir aidé des amis français qui voulaient l'indépendance en Algérie .
Son passé d'ancien résistant ne l' avait pas mis à l'abri des représailles, ni son titre « de « juste » pour avoir sauver des dizaines de juifs vénitiens du ghetto de Venise. Du fond de sa prison il contacta des journaux grâce à des gardiens bienveillants. Il y expliquait ses conditions de détention, ce qu'on lui reprochait, sa vie en Algérie, ses espoirs , mais aussi son passé de résistant.
Toute une presse intellectuelle se mobilisa pour lui. Mais il fallut une intervention de très haut niveau, une personnalité très influente pour convaincre les autorités françaises de le libérer .
Il fut expulsé d'Algérie avec interdiction d'y séjourner .On le renvoya en Italie ayant la nationalité italienne. Il devait arriver à Venise d'un jour à l'autre .
C'était le jour de Carnaval.
Alessandra et Maxime avaient eu une conversation avec leur mère :
-Maman comment se nommait la mère de papa ?
-Colomba !
-Quel métier exerçait- elle ?
-Artiste, comédienne ! Mais pourquoi ces questions ?
- Elle a vécu en France n'est-ce-pas ? Elle parlait parfaitement le français ?
-Oui ! elle a du fuir les fascistes ! Mais je ne sais rien d'autre .
-Maman qui était le père de Papa ? Nous ne l'avons pas connu !
-Colomba ne parlait jamais de lui . Je crois qu' il est mort pendant la guerre dans la résistance en France c'est pour ça que votre père , Pietro, porte son prénom .Il s'appelait « Pietro Almado.
-Maman sais- tu la date de naissance de papa ?
-Je crois que c'est août 1924 !
-Tu es sûr 1924 ? insista Max
Luigia les regarda en fronçant les sourcils :
-Maman serait -ce possible que le père de papa ne soit pas son vrai père ?
-Que voulez vous dire par là ?
-Que papa soit le fils de quelqu'un d'autre ?
-Et de qui ?
La conversation s’arrêta net. Eléna et Don Alessandro venaient de pénétrer dans la pièce :
-Le Comte Castello est ici et te félicite Luigia pour ton travail et propose une surprise aux enfants ! expliqua Eléna
Le Comte entra vêtu comme toujours très élégamment. Il croisa le regard d'Alessandra et de Maxime :
-Demain je remettrai mon masque et celui de mon épouse défunte au grand musée du Carnaval. Ils seront exposés dans la salle de la grande bibliothèque avec les objets précieux. Mais avant cela, vous plairait-il de les porter ce soir de Carnaval ? Toi Maxime et toi Alessandra ?
Les enfants perplexes ne savaient que répondre et restaient muets de stupeur, mais aussi d'angoisse. Alessandro rompit le silence :
-Quoi ? toujours à jacasser , à parler pour rien et vous n'avez pas un mot à dire au Comte pour cette offre magnifique ?
-Je suis certaine qu'ils sont ravis ! Dit Luigia . C'est un un grand honneur Comte !
-Alors à ce soir à sept heures . Je vous apporterai des costumes de circonstances et de convenances.
Et le comte sortit un petit sourire aux lèvres .
-Eh bien quoi vous en faites une tête ? leur lança Eléna .On dirait que l'on va vous mettre en cage !
-Vous auriez pu remercier le comte ! gronda Alessandro.
Mais avaient -ils envie de remercier le Comte ? De remettre ce masque cette nuit ? En vérité non ! Cette surprise leur paraissait plutôt une mauvaise surprise à moins que ce ne soit un piège. Le Comte aurait- il su qu'ils s'étaient servi des masques pour voyager dans le passé ?
Les doutes les tiraillèrent tout le jour ainsi que les interrogations.
Qui était le véritable père de Pietro ?
Colomba avait dit au Comte qu'elle était enceinte de lui . Les événements les avaient séparés. Le comte avait-il renoncé à Colomba ? Pourquoi ? Pietro, leur père , aurait- il pu être le fils naturel du Comte et le Comte, leur grand père ?
Il fallait qu'ils connaissent la vérité sur leur histoire.
Le Comte vint les chercher et leur offrit des habits dignes des princes par la beauté du tissu, l'élégance et la richesse des parures. Eléna Luigia et Alessandro en furent éblouïs. Les enfants ainsi costumés étaient les plus beaux de Venise.
-Nous mettrons les masques plus tard ! dit le Comte .
Tous trois montèrent dans une magnifique gondole décorée de roses eu de mimosas.
Ils atteignirent le pont des soupirs puis poursuivirent par le grand canal.
-Est-ce bien de farfouiller dans la vie des autres ? Questionna le Comte avec un brin de reproche dans le regard ?
-Que voulez- vous dire ? questionna Alessandra
-S'introduire dans le passé des gens est- ce bien correct ? Remuer leurs secrets n'est pas de votre ressort !
-Ces secrets concernent notre famille ! Répondit très justement Maxime. Nous avons le droit de connaitre l'histoire de notre famille et plus précisément ..
Il s’arrêta net :
-Quoi ? Dit le comte
Maxime venait de reconnaître son père courant parmi les festivaliers :
- Papa ! Papa ! Hurla Maxime c'est nous !
Pietro s’arrêta net. Un immense sourire envahit son regard :
-Papa ! hurla Alessandra
Le Comte fit accoster la gondole tandis que Pietro descendait les escaliers menant à l'embarcadère :
-Maxime, Alessandra ! Mes enfants !
Ils s'embrassèrent passionnément :
-Merci Comte ! dit Pietro.J'ai appris pour ma libération: c 'est à vous que je la dois ! Merci encore.
Les enfants se regardèrent .Le comte enchaîna :
-Pietro il est temps aujourd’hui que tout soit dit, que la vérité éclate au grand jour : tes enfants ont déjà deviné beaucoup de nos secrets ,n'est -ce -pas ?
-Comte ! S'écria Maxime. Vous êtes le père de mon père de Pietro n'est- ce pas ?
-Oui ! Maxime je suis le père biologique , le vrai père de Pietro !
-Mais pourquoi ne pas être retourné au pont des soupirs ? Questionna Alessandra ?
-Je vois que vous avez bien profité de vos voyages dans le passé ! Dit le Comte souriant.
-Mais que dites -vous ? Demanda Pietro
-Pietro mon fils, tes enfants donc mes petits enfants t'expliqueront.
Je reprends le fil de notre histoire.Ta mère et moi nous devions nous voir au pont des soupirs . Colomba jeune artiste antifasciste devait fuir comme ceux de sa troupe..J'avais prévenu mon frère de ne pas s’inquiéter que je partais et que je reviendrai. Mon frère me désapprouva car il me voyait marié avec la baronne Filipa. Il dévoila mes intentions à mon père qui m'enferma et me fit surveiller .Je ne pus me rendre au rendez vous .Mais il envoya des militaires pour arrêter Colomba .Par chance elle leur échappa et s'enfuit en France. Je restais en prison chez moi des mois... Sans nouvelles, je sombrais dans la déprime. Je tentais des évasions ! J' appris des mois après ,que Colomba s' était mariée à un comédien . Je partis enfin pour l'Ethiopie pour oublier ! Finalement on me maria à la baronne. J'eus un fils puis un second enfant : une fille.
Le temps passa
.Le fascisme gagnait toute l'Europe. Je cachais pas mal d'antifascistes à la barbe de mon père et de mon frère. Puis je commençais à aider les juifs en cachant les enfants dans des pensionnats catholiques, en me rendant à Rome au Vatican pour plaider leur cause, en vain...
De retour à Venise j'appris qu'on allait liquider le ghetto, que tous les juifs seraient emmenés dans des camps de la mort. Alors avec une poignée d'antifascistes italiens qui travaillaient avec la résistance française nous organisâmes la grande évasion ! N'est -ce- pas Pietro ?
-Oui ce fut une grande chance que de les avoir sauvés !
-C'est à cette époque que je retrouvais Colomba dans le maquis. Son mari Pietro, père adoptif de Pietro venait de se faire assassiner par les fascistes. Son fils Pietro avait pris sa relève. J'aimais toujours Colomba mais le destin fut encore cruel pour elle : elle fut arrêtée et mourut de mauvais traitements quelques mois plus tard dans un camp de travail.
Nous devînmes proches avec Pietro. Je pus lire ton extrait de naissance .Tu étais né en août 1923 et non en 1924 ! J' avais la certitude que tu étais mon fils. Mais je gardais le secret pour ne pas te déstabiliser par respect pour ta mère !
Pietro le mari de ta mère n'avait rien su de notre amour avec ta mère .
Cet épisode vous l'avez vu ? N'est- ce- pas ? Demanda le Comte aux enfants.
Puis s'adressant à Pietro
-Vois- tu Pietro la vie m'a donné de grandes joies mais aussi de grandes peines .
A la guerre j'ai perdu des amis.Mon frère fasciste fut fusillé . Marié et à mon tour papa, ma fille mourut de maladie et mon fils qui n'avait pas eu d'enfant, se tua en montagne. Ma femme le baronne n'y a pas survécu .J'ai enterré toute ma famille .
J'ai alors suivi une voix qui m'a conduite jusqu à la demeure de Don Alessandro où j'ai rencontré Alessandra et Maxime : là j'ai su que j'avais deux petits enfants et que je devais retrouver mon fils aîné Pietro .
Pietro resta pensif ainsi que Alessandra et Maxime. Que de secrets découverts ! Que de silences , de malheurs mais d'espoirs futurs .Maxime rompit le silence pesant en s'adressant au Comte :
-Qu'allons -nous faire des masques ? Nous ne tenons pas à les mettre . Vous comprenez ?
-Bien sur ! De grâce allons placer ces deux objets au musée !
-Oui ! s'écrièrent les enfants
-Et toi Pietro acceptes- tu mon affection ? Acceptes- tu que je te reconnaisse après toutes ces années ? Me pardonnes- tu ?
Pietro hocha la tête, les larmes coulaient sur ses joues :
-Je pense à maman ,à votre grand-mère ! Comme elle fut courageuse !
-Papa ne pleure pas ! s'écria la petite Alexandra ! Moi aussi je suis courageuse tu sais, et maman aussi. Maman t'aime beaucoup !
Pietro sourit à sa fille à son fils et à son père : le Comte. Alessandra se permit de dire :
-Alors je suis comtesse et toi Maxime tu es Comte ?
-Oui ma petite tu es comtesse et ton frère Comte ! Répliqua le Comte.
-Allons retrouver votre mère Luigia, tante Eléna et l'oncle qui doivent nous attendre .Dit Pietro
-Comte , venez avec nous ,vous faites partie de la famille à présent ! S'enquit Pietro.
-Père , il faut m'appeler père !
Un regard radieux aussi bleu que celui de Pietro et que ses deux enfants, illuminait son visage.
Fin