chapitre V : 1ère partie en liberté surveillée

Chapitre V 

roman historique « Manana demain »

(guerre d'Espagne 36-39)

1ére partie : En liberté surveillée

et à Puente la Reina

Résumé des quatre chapitres précédents :

Tonin est un jeune berger des Pyrénées espagnoles .Il est né à Hécho petit village du Haut Aragon. Il a passé une enfance heureuse entouré de deux amis : Angel son cousin germain et Antonio . Quand la guerre a éclaté ,ils ont choisi leur chemin , trois chemins différents :

-Antonio :la désertion mais il mourra sous les feux des franquistes...

-Angel le camp des rebelles des blancs : il a rejoint les nationalistes et est devenu « guardia civil »

-Tonin le camp des rouges, de la République légalement élue. Militant de la CNT à Hécho , il rejoint à Barcelone l'armée républicaine et le général Ortiz ( le général sans dieu ni maitre ).Il est nommé lieutenant.Il se bat pendant trois ans contre les fascistes de tous bords et est fait prisonnier à la bataille de l'Ebre. Détenu dans des cachots infâmes, il fait la connaissance d'hommes extraordinaires qui seront fusillés après une parodie de procès . Condamné à vingt ans de prison, il sera le seul à sauver sa tête . Prisonnier il faillit mourir , mais l'aide de son cousin Angel , va lui permettre de résister .La rencontre avec une jeune femme « Ester » lui donnera des raisons d'espérer. En novembre 1944 une tentative de reconquête de l'Espagne par les guérilleros républicains va avorter faute d'aide internationale (lire l'article la reconquête dans le dictionnaire de la guerre d'Espagne).

En 1945 Tonin est libéré mais une liberté surveillée provisoire et conditionnelle : interdit de séjour à Hecho ! .

En liberté surveillée

Il y eut un second procès et Tonin fut libéré après six ans de détention.Il était interdit de séjour dans son village de Hécho.

Il dut rester à « Cabanas del Ebro » , proche de Saragosse, chez sa sœur Maria.Il aida ses neveux dans leur exploitation agricole de melon, tomate, haricot..., pendant plusieurs mois. Grace aux canaux , ces terres immenses étaient irriguées avec l'eau de l'Ebre.

Ester écrivait toujours à Tonin. Ils se revirent plusieurs fois.

Tonin trouvait le temps long. Ses montagnes lui manquaient , ainsi que sa mère ses frères , ses neveux, ses amis du village, sa maison : « casa Chilica « !

Il savait que des mouvements anti-franquistes se déroulaient dans ses montagnes . La reconquête de novembre  44 avait été un échec et quelques jours plus tard De Gaule avait désarmé les guérilleros du Val d'Aran et reconnu Franco le dictateur comme maitre de l'Espagne. Mais après la chute du régime nazi des résistants républicains espagnols revenus du nid d'aigle ayant combattu jusqu'au bout les allemands (pour beaucoup dans la deuxième DB du général Leclerc ) voulaient en finir avec Franco et rétablir la république en Espagne. Des mouvements du maquis éclataient ici et là et Tonin voulait y participer et reprendre le combat.Dans son village on aurait besoin de lui.Un matin il prévint sa sœur Maria :

-Ne te fais pas de mauvais sang pour moi Maria ! Mais il faut que je sache ce qui se passe à Hécho et dans le pays !

-Non Dieu ! Six ans ne t'ont pas suffi? mais que cherches -tu encore ?

-Je ne sais pas ! Mais je ne peux rester inactif ! 

-N'es -tu pas bien ici ? Tu as un travail, une partie de ta famille, les neveux , ta nièce Lucie qui t'aime tant et Ester ! Pourquoi ne pas tout laisser tomber, te marier , fonder à ton tour une famille ici et travailler la terre c'est ce que tu préfères , n'est ce pas ? Etre ton propre chef sans patron ni maitre ? Pense à toi à ton avenir !

-Mon avenir ? C'est l'Espagne libre , l'Espagne de manana demain ! L'Espagne qu'il nous faut libérer pour lui rendre la liberté !

-Des mots toujours des mots ! N'oublie pas Tonin que c'est grâce à ton cousin Angel que tu as la vie sauve et grâce aux gens de Hécho. Si tu rentres en rébellion tu vas compromettre Angel et les gens de Hécho qui ne pourront plus rien pour toi ! Tu ne pourras compter sur aucun appui, cette fois ci ; de plus tu seras s'ils te reprennent, enfermé pour le restant de tes jours !As tu penser à tout cela ? 

-Maria, l'Europe va nous appuyer et nous aider à nous débarrasser de Franco !

-Le crois tu vraiment Tonin? Ils n'ont rien fait pendant la guerre : ils sont restés là , à nous regarder nous déchirer , nous faire massacrer par les Italiens les Allemands, les franquistes et ses troupes marocaines  ! Par leur immobilisme, ils ont favorisé Franco !

-Oui mais ces puissances n'avaient pas encore compris l'importance de notre guerre qui n'était que la répétition générale de la seconde guerre mondiale . L'Espagne n'était qu'un vaste champ d'entrainement pour Hitler.Ils nous doivent bien cela ,les alliés ! Les premiers à rentrer en résistance dans les maquis de France furent les nôtres : les républicains espagnols. Ceux qui libérèrent Paris , sais tu ce sont les nôtres : les Républicains espagnols avec leur chars : Teruel, Madrid, Don Quichotte .... Je sais qu'en Espagne la censure est partout et de telles informations sont interdites mais j'ai pu les apprendre en écoutant chez José , Radio Andorre. Vois -tu cette fois- ci les nations ne nous laisseront pas tomber ! 

-Et aujourd'hui tu penses donc qu'ils vont se racheter et nous libérer ?

-C'est leur intérêt : on ne peut laisser un régime fasciste en occident en Europe  aux portes de la France qui a soutenu Hitler et Mussolini !

Maria ne partageait pas l’optimisme de son jeune frère, mais l'ardeur de Tonin lui allait droit au cœur.

-Et comment vas tu faire pour te rendre à Hécho ?

-En car ! Comme tout le monde ! 

-Mon Dieu il est devenu fou ! Tu vas tous nous rendre fous ! A Puente la Reina, la guardia civile tient l'entrée et la sortie du pont ! Elle inspecte à fond et fouille le bus et les voyageurs !

-Ne t’inquiètes pas ! Je trouverai une solution !Souhaite- moi bonne chance !

Ils s'embrassèrent passionnément .

A Puente la Reina

Tonin avait revêtu un pardessus bleu marine très élégant tout neuf que sa sœur venait de lui offrir . Il portait une belle chemise blanche et un costume frais repassé qui appartenait à son neveu , et qu'il gardait pour son mariage prochain.Tonin s'était rendu chez le coiffeur qui lui avait taillé barbe et cheveux.Il avait mis sur la tête un grand chapeau qui lui donnait l'air important. Il s'était procuré chez le cordonnier du village qui travaillait le cuir, une belle serviette marron sombre qu'il avait remplie de journaux et feuilles. 

Ainsi habillé, il présentait bien et ressemblait davantage à un haut fonctionnaire qu'à un ancien berger des Pyrénées.

Il prit place dans l'autobus qui devait le mener à Hécho via Puente la Reina (le pont de la Reine ).

Dans sa tête les choses étaient claires simples :le car avait deux portières , une avant une arrière.Il savait qu'au relais du Pont de la Reine, la guardia civil faisait descendre tout le monde pour son inspection. Tonin pensait s'éclipser par la porte arrière fermée en principe de l'intérieur .Il s'installa donc près de cette porte , au fond du car..Il avait testé le verrou qui lui permettrait de sortir, sans être vu et comme les voyageurs en profitaient toujours pour faire une pause, à ce moment là , discrètement il remonterait par la porte arrière dans le bus.

On arriva au relais du Pont de la Reine.Le véhicule s'arrêta.

-Papiers vos papiers !

Le chauffeur donna l'ordre à tous de descendre.Tous s'exécutèrent. Tonin sursauta .Le capitaine des guardias civils semblait chercher quelqu'un. Il fit signe à quatre gendarmes de se poster : deux devant la porte avant du car et deux à la porte arrière. Tonin était pris au piège.Le car était vide à présent. Tonin ne bougea pas. On vérifia les identités.Puis le capitaine pénétra dans le car et se dirigea vers Tonin.

-Vous ne descendez pas Monsieur ?lui demanda le militaire qui le dévisageait.

Tonin ne dit rien mais lui lança un regard sévère.L'homme hésita. Tonin présentait bien, même très bien Qui pouvait bien être ce mystérieux voyageur ? Un officiel venu incognito ? Le militaire demanda à nouveau :

-Vos papiers s'il vous plait ? 

Tonin sortit sa carte de détenu politique en liberté conditionnelle.

En haut à gauche sa photo : une belle photo.Dessus le tampon : Etat Espagnol ; à droite écrit en gros et gras : Sureté de l'état.Avec sa main, il cacha le reste c'est- à- dire le plus important : son nom, son état, sa condition de détenu politique.

Le capitaine se mit alors au garde à vous et salua Tonin.

-A vos ordres ! Excusez -nous ! Je ne pouvais savoir ! 

Tonin ajouta :

-Vous recherchez quelqu'un ?

-Oui nous avons des ordres de Madrid ! Des maquisards sont dans le secteur !

-Quand le bus repart- il ? Questionna encore Tonin

-Très bientôt Monsieur !

-Bien ! Car j'ai une mission urgente qui ne saurait souffrir d'un quelconque retard !

Le militaire fit hater les voyageurs qui remontèrent .

Tonin ne réagit pas sur le moment  à ce qui venait de se passer : il venait de bluffer un capitaine de la guardia civile.Il se revoyait mettre sa main instinctivement comme si on le lui avait dicté , sur l'endroit à cacher :

 »détenu politique, activiste,en liberté surveillée et conditionnelle interdit de séjour à Hecho et sa région ».

Alors il se mit à rire, d'un rire terrible. Jamais il n'avait ri de la sorte. Ses voisins crurent qu'il se moquait d'eux et changèrent de place. Tonin se parlait à lui même :

« Dire qu'un capitaine franquiste m'a salué moi le Capitaine Républicain sortit des geôles franquistes ! Dire qu'il s'est mis au garde à vous ! Dire qu'il m'a appelé Monsieur ! Dire qu'il s'est excusé et à avancer le départ pour Moi !

Il rit encore et se calma .

Tonin avait eu tout enfant ce talent de comédien, l'art d'entrer dans la peau de personnages différents. La mise en scène, il connaissait et s'en était servir au cours de sa jeune vie .A Hécho c'était une vedette , le responsable du petit théâtre. Il venait une fois de plus d'affirmer ses talents de comédien dans le rôle du fonctionnaire franquiste en mission. 

Dans la nuit naissance le magnifique village de Hecho apparut illuminé par les étoiles.