L'exil dans les hautes Chaumes

Chapitre 6
Après la disparition du soldat, Simon pensait retrouver la paix et un peu de sérénité . C'était sans compter sur l'imprévu.
L'hiver fut rude et encore une fois les paysans souffrirent de la disette. Simon aida les villageois en prenant sur la part seigneuriale le blé et autres aliments afin de soulager leur misère . Bien sur Châtaigne se fit un plaisir d'en informer le Comte.
Augusta habitait dans un hameau voisin proche . Elle était fort âgée . Elle vivait de la cueillette de ses plantes et d' herbes bienfaisantes. Le prêtre voulait l'éloigner de la région car elle avait une grande influence sur les femmes . Ses tisanes guérissaient tout .
-L'oeuvre du diable ! Clamait ce prêtre fanatique .
Simon s'opposa à l'homme d'église et la population le soutint. Le curé écrivit au Comte, présentant Serge-Simon comme un rebelle, se prenant pour »le nouveau seigneur » .
Tant que la Comtesse fut en vie , elle protégea Simon . Son époux occupé à la cour, ne porta pas alors d’intérêt à ces commérages provinciaux.
Deux années plus tard , une gouvernante mandée par le Seigneur de Chalmazel vint récupérer ses deux enfants .
Margot voulut connaître les raisons de ce départ précipité : les enfants étaient heureux chez elle et bien soignés.
-Madame ! Lui dit la gouvernante, la Comtesse est décédée il y a quelques jours et le Comte veut avoir ses enfants auprès de lui .
La séparation fut difficile : Jeanne pleurait en s'accrochant au cou de Margot.
-Allons mademoiselle ! Je vois qu'il va falloir revoir toute l'éducation et vous apprendre les bonnes manières ! Lança sévèrement la gouvernante .
Et comme une mauvaise nouvelle ne vient jamais seule, quelques jours plus tard, Simon reçût une lettre du Comte l'informant qu'il se séparait de lui : deux garde -chasses n'étaient pas nécessaires .Il gardait son fidèle Châtaigne.
Simon devait quitter incessamment la demeure dans laquelle il était installé avec sa famille depuis deux ans. Tout son troupeau de moutons, ses poules , aussi , lui était confisqué comme dédommagement des biens qu'il avait volés dans les réserves seigneuriales . Le comte disait faire preuve de mansuétude envers lui par égard à son épouse défunte et pour Margot sa femme nourrice de ses enfants .
Châtaigne jubilait :
-C'est moi qui doit veiller à ton départ !
-C'est novembre, et la neige n'est pas loin ! Où veux tu que j'aille ?
-Bah ! Dit Margot nous trouverons bien des amis pour nous recueillir !
Chataigne ricana de son mauvais rire !
Simon demanda l'asile aux villageois mais aucun ne lui l'accorda .Ils avaient reçu des menaces du Comte : Simon était à présent considéré comme indésirable au village : il avait outrepassé ses droits en se servant dans les remises du seigneur pour distribuer aux pauvres de quoi se nourrir. De plus, le curé s'était plaint également de lui au sujet de l'affaire d'Augusta. Quiconque aiderait Serge alias Simon serait également banni de la seigneurie de Chalmazel .
Alors Simon , Margot et leurs enfants , rejoignirent les Hautes Chaumes : là où les terres étaient libres car communales . Simon y avait toujours sa jasserie aménagée l'été dernier .
La famille venait de parcourir une demi lieue lorsqu'elle croisa un groupe venu à leur rencontre avec deux mules , chargées de victuailles. Un berger conduisait quelques moutons avec son chien deux chèvres et un cochon. La vieille guérisseuse était avec eux avec des paniers chargés de poules et d'un coq très en forme .Un villageois expliqua :
-Tu nous a aidés ces deux hivers ! On ne pouvait t'offrir notre hospitalité tu comprends...! Mais voilà de quoi tenir hivers.. Nous allons t'aider à t'installer aux Hautes Chaumes ! C'est bien là où tu vas ?
-Oui ! Murmura Simon .
-Merci mes amis !!Ajouta Margot
-Merci à vous ! Dit le berger.
La vieille Augusta demanda :
-Voulez-vous de moi ? Je dois quitter le village à cause de ce maudit curé et de ce maudit Chataigne ?
-Bien sûr grand mère ! Dit Margot !
Le groupe atteignit les Hautes Chaumes . C'était la nuit...Un bon feu dans la jasserie permit d'évacuer l'humidité et de réchauffer la maisonnette . Les provisions furent mises dans le cellier. Une jasserie adjacente servit d'étable aux mules, aux moutons aux chèvres et au cochon.Un petit poulailler offrit aux poules impatientes et au coq ,un abri confortable.
Puis les villageois prirent congé de Simon de sa famille et de la vieille guérisseuse et redescendirent au village sans que Chataigne ne se doute de rien .
L'hiver fut rude, mais le bois ne manquait aux Hautes Chaumes stockées dans les jasseries .
Simon et les siens avaient tout ce qu'il leur fallait pour vivre. Le berger leur avait confié son chien , un bel animal aux longs poils noirs impressionnant par sa carrure .
La neige tomba sans discontinuer de novembre à mai.
Le printemps arriva avec les fleurs aux branches et les hirondelles joyeuses...
Un matin Simon descendit des Hautes Chaumes pour aller vendre ses fromages et sa fourme au marché de Montbrison.
Petit à petit , au fil des semaines et des mois , il fit sa place parmi les crémiers. Beaucoup de gens lui achetaient et même lui commandait des fromages, des crèmes, et ses spécialités : fromage sec ou blanc aux noix , au miel, aux myrtilles, aux fraises sauvages, aux marrons . Il « avait fait » sa clientèle. A ces fromages il ajouta pour sa vente des pots de son miel, des tisanes de la vieille Augusta et des petites galettes de pain de Margot.
C'était la fin de l'été.
Un jour malencontreusement il tomba sur Chataigne qui s'étonna de le voir .
-Je vois que certains t'ont aidé ! Dit- il ironiquement .
-Ma famille de Montbrison est venue à notre secours car toi et tes chiens vous avez tout fait à Chalmazel pour que je meure de faim avec mes enfants et ma femme !
-Un proscrit est toujours un proscrit, Simon Monteban ! Qu'il change d'activité ou de manteau ! Railla Châtaigne
-C'est mon droit de venir ici vendre mes fromages ! Hurla Simon alors que des gens attirés par l'altercation se groupaient autour de lui.
-Eh bien que se passe t- il ici ? Questionna un homme de loi
-Je m'étonnais de voir cet individu vendre ces fromages alors qu'il n'a ni chèvre ni brebis ? Je me pose la question ? D'où viennent ces fromages ? Je suis garde champêtre de Chalmazel et intendant au château du Comte !
-Eh bien allez poser vos questions à Chalmazel et y faire le garde champêtre par la même occasion et laissez les vendeurs de Montbrison vendre, et les acheteurs, acheter !
Les gens applaudirent en riant.
Penaud, Châtaigne ne se fit pas prier et quitta Montbrison.
Simon fit encore une belle recette ce jour là et ses clients ne manquèrent pas de lui apporter leur soutien.
De retour dans les Hautes Chaumes ,il rapporta l'incident à Margot et à Augusta :
-Cet homme est un poison ! S’exclama justement Augusta.
-Crois -tu qu'il nous laissera en paix un jour ? Questionna Margot incrédule.
Elle ne savait pas si bien dire .
Un matin un groupe de garde se présenta aux Hautes Chaumes guidé par Châtaigne :
-Le comte a réquisitionné tous ces paturages et les jasseries ! Annonça celui qui devait être le fermier général.
-C'est impossible ces terres sont communales comme les jasseries et appartiennent aux paysans et aux villageois ! Vous n'avez pas le droit ! Je connais la loi ! hurla Simon .J' irai devant le tribunal de Montbrison et vous serez déboutés . La population sera informée et ne se laissera pas ainsi spolier de ses maigres avantages.
Je possède une copie de l'acte communal ! Savez vous lire ? Demanda Simon au fermier général.
Pour sur, le fermier général savait lire .Il parcourut le texte.
L'homme hésita :
-Avez vous un papier signé du comte ? Demanda encore Simon.
Il y eut un long silence révélateur puis l'homme dit sèchement :
-Nous reviendrons !
Le lendemain Simon se rendit à Montbrison et demanda à voir un juge et un avocat afin de leur exposer l'affaire.Il obtint la certitude que la loi garantissait toujours les terres communales et qu'aucun seigneur ne pouvait se les approprier .Fort de ces documents , la tentative d'usurpation des terres communales en resta là .
Une année passa.
Grâce à l'argent de ses fromages, de ses tisanes de son miel ,des gourmandises de Margot , Simon réunit assez d'argent pour louer non loin de Montbrison une petite ferme et s'y installa.
Margot mit au monde un troisième enfant : Pierre.
Chataigne semblait les avoir « oubliés » occupé à tyranniser d'autres pauvres journaliers et à détrousser quelques lavandières imprudentes qui s'aventuraient seules au bord du Lignon.
Une chute de cheval l'avait immobilisé des mois .
Un jour , Simon dut remonter aux Hautes Chaumes pour y récupérer quelques outils abandonnés dans une remise d'une jasserie.Il tomba sur Châtaigne :
-Tiens comme on se retrouve ! Railla le mauvais homme .
Simon ne le regarda pas .Châtaigne insista et le provoqua :
-Alors on a perdu sa langue et son courage ?
Et il empoigna Simon par le bras pour qu'il le regarde.
-Lâche -moi misérable ! Cria Simon.
Comme l'autre ne lâchait pas prise, Simon l'attrapa à son tour et le fit tomber.
A ce moment sortirent de la foret en contrebas un groupe de bucherons .
-Au secours ! Aie ! Il m'a agressé ! A l'aide ! Par Dieu ! criait Châtaigne. Trop content de trouver de témoins providentiels .Il veut ma mort !
-Pauvre fou ! Rétorqua Simon ! C'est lui qui est venu ici sur mes terres me chercher querelle !
-Bah ! Dit le chef des bucherons qui s'était approché de celui qui était à terre .
-Pas de mal mon vieux ! Allez que chacun poursuive sa route !
-C'était bien mon intention ! Expliqua Simon .
Il décampa aussitôt .
Les bucherons s'éloignèrent.
Châtaigne attendit.Quelle mauvaise idée pouvait bien encore germer dans cet esprit malade ?
Simon prit le matériel en question ne tarda pas et quitta les Hautes Chaumes.
Il retourna auprès de sa famille.
Le lendemain comme de coutume il vendit ses fromages au marché.
Le jour d'après on vint frapper à sa porte de très bonne heure .Il s'agissait d'hommes en armes.
Simon leur ouvrit, les yeux pleins de sommeil.
-C'est vous celui qu'on nomme Serge Reboule ?
-Oui ! C'est pourquoi !
-On vous arrête !
-On m’arrête et pourquoi ?
-Pour meurtre !
-Meurtre ? Mais meurtre de qui !
-Vous répondrez aux juges de l'accusation du meurtre du garde chasse du Comte ,celui que tous appellent Châtaigne !