Quand la grève générale battait le pavé chez nous dans la Loire

12 février 1910:
les mouvements sociaux au Chambon Feugerolles
à Firminy à Saint Etienne
Quand solidarité rimait avec unité
sources : Forez infos

Une grève générale naquit en décembre 1909 au Chambon Feugerolles ville ouvrière voisine de Saint- Etienne d'un différend insignifiant survenu entre M. Besson, fabricant de boulons et l'un de ses ouvriers. Cet ouvrier renvoyé à cause de la médiocrité de son travail, d'après M. Besson se plaignit au syndicat des métallurgistes. Ses camarades cessèrent le travail.
Au 12 février les boulonniers déclenchent la grève générale
Au bout de deux mois de grève, en février tous les boulonniers du Chambon se solidarisèrent. Quatre jours après les ouvriers en limes et ceux de la grosse métallurgie suivaient à leur tour le mouvement. Plus de 4.000 ouvriers, chômèrent s'étendit aux métallurgistes de Firminy, localité toute proche du Chambon.

Le 22 janvier 1910, un café de Firminy tenu par un des ouvriers de l'usine qui prônait la reprise avait été saccagé par les grévistes*. Des gendarmes avaient été envoyés au Chambon Feugerolles . Certains d'entre eux sont frappés, d'autres insultés en pleine rue. Le 11 février, tous les ouvriers boulonniers du Chambon, au nombre d'un millier dont 250 à 300 femmes, votent la grève générale.On connaît leur nombre avec précision si on se fie à l'article de L.G. Gras publié dans L'Année forézienne 1910 et qui reprend les extraits de différents articles du Mémorial de la Loire.
Les patrons boulonniers ne veulent rien entendre et deux jours plus tard la grève est effective. " En vain le juge de paix fit appel à la conciliation ". "En vain, le maire rappela l'interdiction des attroupements et des manifestations, ordonnée en 1900, lors de la grève des tisseurs, par le Préfet de la Loire, dans toute l'étendue du département, arrêté qui n'a pas été rapporté, mais que l'on applique pas ou que l'on applique trop tard."
C'est le 19 février 1910 que les ouvriers en lime rejoignent le mouvement. Une seule usine de grosse métallurgie reste alors en activité, celle du maire Claudinon. A la sortie, ses ouvriers sont "encadrés" par les grévistes. Devant la pression, Claudinon ferme l'usine. 4.000 ouvriers sont alors lâchés dans les rues du Chambon qui compte à l'époque 12 à 13 000 habitants !
Les grévistes exigent toujours la reconnaissance de leur syndicat mais les pourparlers ne donnent rien. Le 27 février, une colonne de 800 manifestants prend le chemin de Saint-Etienne. Des enfants de grévistes sont confiés à des familles ouvrières de la grande ville. Au Chambon, la guerre va débuter .
Les manifestations dégénèrent rapidement en batailles de rue. Jets de pierre, coups de feu, charges de gendarmes... "Les blessures aux gendarmes, serviteurs modestes et dévoués de la loi, ne comptent guère. Celles aux "renards" (les ouvriers qui ne font pas grèves : les jaunes) comptent encore moins**,.La force publique est renforcée. Début mars, plus de 200 gendarmes et dragons sont présents au Chambon. Ce qui n'empêche pas, le 4 mars, que les vitres de l'usine Claudinon soient caillassées. Deux jours plus tard, un cortège gagne à nouveau Saint-Etienne au son des chants révolutionnaires, drapeaux rouges au vent.
Le 9 mars, ce sont les vitres de l'usine Besson qui volent en éclat. A la Mairie, un fonctionnaire de police est blessé. A la date du 10 mars, le syndicat n'est toujours pas reconnu par les patrons. Aussitôt un hangar est incendié. Les émeutiers crèvent les tuyaux des pompiers. Les Besson se réfugient à Saint-Etienne, laissant leur jolie villa, aussitôt endommagée par l'explosion de deux bombes. De nouveaux renforts arrivent dans l'Ondaine. 1400 hommes de troupe !
Le 14 mars, tentative d'incendie contre une usine de limes. Ce même jour, le maire et le juge de paix sont malmenés place de l'hôtel de ville.Le lendemain, 1500 grévistes viennent à Saint-Etienne réclamer la libération d'un agitateur. Les pouvoirs publics cèdent. L'homme recouvre la liberté .

Les manifestations se poursuivent avec leur lot d'incidents. Des coups de révolver sont tirés en pleine rue, écrit Gras, sans préciser d'où viennent les coups de feu. Et la solidarité s'organise: des "soupes populaires" se mettent en place et des commerçants, peut-être pour épargner à leurs magasins quelques dommages, affichent leur soutien. Une souscription nationale recueille 30 000 francs en quelques jours …
Les patrons proposent alors l'arbitrage d'Aristide Briand, que les ouvriers repoussent. Pour les plus enragés d'entre eux, Briand, plusieurs fois député socialiste de la Loire (circonscription de Saint-Chamond notamment), Ministre de l'Intérieur au moment des faits, est "le traître". Autrefois plus ou moins proche des idées du syndicalisme révolutionnaire, il est maintenant le "briseur de grèves", celui qui fait venir les soldats au Chambon.
Discours de Ferdinand Faure, prononcé en 1907 à Izieux commune voisine de Saint- Chamond: " M. Briand est un homme à deux visages. Comme citoyen-avocat, il défendit les ouvriers, tandis que comme ministre, il a rétabli les lois scélérates pour mieux opprimer les ouvriers et fonctionnaires de Paris par des arrestations successives et des révocations. Par l'acceptation d'un département ministériel, M. Briand a perdu non seulement la confiance de la classe ouvrière.

Le 1er avril, les deux hommes décident d'un commun accord qu'en cas de différends d'ordre professionnel entre employeurs et salariés, les ouvriers boulonniers nommeraient plusieurs délégués, syndiqués ou non, mais choisis exclusivement parmi le personnel de l'usine concernée, et qu'ils pourraient se faire accompagner d'un ou deux autres délégués pris exclusivement dans la commission technique syndicale de leur spécialité. Leur nombre ne devrait pas excéder la moitié du nombre des délégués de l'usine. Quant aux patrons, ils ne devaient en aucun cas se prévaloir contre les ouvriers qui avaient fait grève. La sentence est accueillie avec enthousiasme. Ce n'est rien de moins qu'un début reconnaissance du syndicat à l'intérieur des entreprises. Les patrons ont cédé après plus de trois mois de grèves et d'émeutes (4). Le mot de la fin revient à L.J. Gras, de la Chambre de commerce: "Cette grève, absolument révolutionnaire, et qui faisait perdre 17 000 francs de salaire par jour, devait avoir pour épilogue l'incendie de la mairie, le soir du 24 avril, jour des élections législatives. "…...
A noter enfin que l'année 1910, dans le département de la Loire, fut marquée par de nombreux et durables autres mouvements de grève. Juin 1910: grève des chauffeurs de la compagnie électrique, émeute en gare de Châteaucreux, sabotage de voies ferrées (une bombe est désamorcée à Firminy sur la ligne d'Annonay); grève des ouvriers cimentiers du 1er juillet au 7 novembre et "chasses aux renard"; grève partielle des terrassiers en novembre ; grève des verriers à Rive-de-Gier; grève de quinze jours à l'usine Rousson de Feurs.