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Les crayons de couleurs

nouvelle

En mémoire des enfants d'Auschwitz et de tous les autres détenus dans  les camps de concentration durant las seconde guerre mondiale .

C'était fin février 1941 , mars pointait son nez dans Montmartre où quelques arbres étaient déjà en fleurs. Les oiseaux avaient repris leur requiem de bon matin et dans les jardins on voyait déjà la jonquille et la primevère refleurir après un long hiver .

J'habitais Montmartre . Je venais d'avoir neuf ans .J'aimais flâner dans ses ruelles de bon matin avant de rejoindre mon école. J''attendais l'arrivée du paysan venu livrer le lait de la ferme.Oh l'odeur du lait frais mêlée à celle des croissants chauds de la boulangerie toute proche de mon ami David !...

David avait mon âge .Nous étions les meilleurs amis pour la vie.Nous partagions nos gouters . En fait c'était surtout lui qui me donnait le sien : fils du boulanger il avait chaque jour dans sa besace trois brioches, ou longuets, ou croissants à partager avec nous les écoliers .Son père très généreux donnait souvent au maitre des gâteaux, des galettes et des restants de baguette de la veille pour les nécessiteux. Mon père lui était un fonctionnaire détaché au service de l'immigration et maman s'occupait de la maison ,de mes deux petites sœurs et de moi.

Je voyais rarement mes grands parents maternels qui vivaient dans le Haut Forez contrairement à mes grands parents paternels , bouquinistes qui vivaient à coté de chez nous sur la butte rouge . Cette année là, mes  grands parents du Haut Forez  étaient venus à Paris pour Noël. Quelle joie ce fut pour ma mère  de  les voir  et leur faire visiter Paris ! Bien sur ce n'était pas le Paris d'avant, d'avant la guerre .

Le jour 25 décembre nous fêtâmes Noël en famille. Mes grands parents du Forez m'offrirent un beau cadeau : une magnifique boite en métal de crayons de couleurs : il y en avait 24 ! Des gros crayons bien taillés aux douces teintes.Ils firent fureur à l'école. Avec David qui était assis à coté de moi nous les partagions en cours de dessin et en science, en poésie en géographie et en histoire.

-Comme ils sont beaux ! On n'en trouve pas de semblables à Paris ! se lamentait -il !

-Tu peux les emprunter autant que tu le veux ! A toi je les prêterai volontiers ! Je n'oublie pas toutes les brioches que tu nous donnes !

Un samedi, après l'école , il me demanda :

-Peux -tu me prêter tes crayons de couleurs ?

-Tiens prends -les !Lui dis-je

-Merci ! Tu ne me demandes pas pour quoi faire ?

-Si ! Mais …

-C'est pour envoyer un dessin à ma cousine de Belgique dont je t'ai déjà parlé : Sarah  ! Elle et sa famille vont partir travailler en Pologne . Je vais leur faire de beaux dessins !

David me rendit le lundi matin mes crayons de couleur , son visage était tendu et triste.Il resta silencieux sur le chemin de l'école .Arrivés devant la grande battisse , je m'aventurais :

-Tu n'as pas fait de beaux dessins ?

-Non ! dit- il en baissant la tête ! 

J'allais lui demander pourquoi , lorsqu'il me planta là et courut se mettre en rang.Il n'ouvrit pas la bouche pendant tous les cours. A la récréation, j'essayais de jouer avec lui mais il restait grave appuyé sur un arbre :

-Laisse- moi ! François ! J 'ai besoin d’être seul.

Je m'éloignais mais je le vis pleurer en cachette. Je n'osais l'interroger. Il y a chez les enfants cette pudeur instinctive qui les retient quand une blessure trop profonde les tourmente .

Je n'avais jamais vu autant de gravité dans le regard de David .Elle ne devait plus jamais le quitter .

Le printemps arriva puis les beaux jours de juin avec les grandes vacances.

Mon père était inquiet mais il ne devait pas parler de son travail à la maison. Début juillet 1942, pour nous préserver , il décida que ma mère mes soeurs et moi  partirions dans le Haut Forez respirer l'air pur des montagnes …

Je quittais donc Paris. David vint me dire au revoir 

-Tiens ! lui dis-je. Je te prête mes crayons de couleurs pour les vacances !

-C'est gentil mais je préférerai que tu les gardes pour me faire de beaux dessins du Forez .

Nous nos quittâmes. J'oubliais sur la table de la salle à manger mes beaux crayons . Quand j’écrivais à David , j' illustrais mes textes avec des dessins en noir et je lui expliquais pourquoi ils n'étaient pas en couleur .

David vint  emprunter mes crayons à mon père.

-Tu peux les garder toutes les vacances mais il faut  vite partir David ! Quitter paris ! Avertis  tes parents ! La police française va organiser une grande rafle d'étrangers de juifs c'est pour bientôt , c'est sur ordre des allemands !

David quitta mon père avec la boite de crayons.Il informa  sa famille des recommandations que mon père  lui avait faites .Le boulanger se rendit à notre domicile :

-Nous sommes français  ! Ils ne peuvent pas nous arrêter !

-Je vous assure qu'ils vont le faire ! Fuyez ! Je peux vous donner une adresse.....

Le père de David ne voulait pas y croire  et coupa court :

-Et les enfant aussi ? Et pour nous emmener où ?

-Dans des camps de travail !

-Des femmes ?Des bébés ? Des vieillards ? C'est impossible ! On a voulu faire courir ce bruit ! Encore la propagande antisémite pour que les juifs quittent la capitale ! On vous a dit à vous fonctionnaires de répandre la rumeur et comme cela les bons français de souche , bons catholiques s'empareront de nos biens, de nos commerces, nos machines nos véhicules de nos économies . Je ne marche pas !

Il refusa de croire mon père .

16 juillet . Lorsque la police vint arrêter les juifs, David grimpa jusqu’à notre appartement , la boite de crayons , à la main. Il frappa à ma porte :

-La police est là et nous ordonne de faire nos valises .

-Hélas David ! J'avais prévenu ton père, mais …

Des coups frappés vivement à porte stoppa court la conversation :

-Ouvrez police ! Ouvrez !

-Qu'y a  t -il  ? demanda mon père au fonctionnaire de police qui se tenait face à lui.

- Monsieur, un garçon a pénétré chez vous , c'est le fils du boulanger ! Où est- il ?

- Je suis venu rendre la boite de crayons de couleurs que mon ami François m'avait prêtée ! Expliqua  David .

Et il tendit les crayons à mon père .

-Bien ! Dit le policier ! Alors maintenant on peut partir !

Je ne revis jamais David ni sa famille . Tous furent conduits au « vel d'hiv » et déportés à Auschwitz. 

J'ai toujours ma belle boite de métal mais je n'ai  jamais  eu le cœur d' utiliser les crayons. 

 

 

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