
Que s'est- il passé un 20 aout 1968 ?
La fin du printemps de Prague
Le printemps de Prague (en tchèque : Pražské jaro, en slovaque : Pražská jar, nommé ainsi en référence au Printemps des peuples) est une période de l’histoire de la République socialiste tchécoslovaque durant laquelle le Parti communiste tchécoslovaque introduit le « socialisme à visage humain » et prône une relative libéralisation. Il débute le 5 janvier 1968, avec l'arrivée au pouvoir du réformateur Alexander Dubček et s’achève le avec l’invasion du pays par les troupes du Pacte de Varsovie.
Dubček introduit la liberté de la presse, d’expression et de circulation, dans la vie politique la démocratisation et enclenche une décentralisation de l’économie. Il dote le pays d'une nouvelle Constitution qui reconnaît l'égalité des nations tchèque et slovaque au sein d'une république désormais fédérale. Cette innovation politique sera la seule à survivre à l’intervention soviétique.
Le printemps de Prague provoque la réaction de l’URSS qui, après l’échec des négociations, envoie chars de combat et soldats pour imposer une « normalisation ». L’occupation soviétique entraîne des manifestations non violentes et une vague d’émigration parmi la population tchécoslovaque. Au printemps suivant Gustáv Husák remplace Alexander Dubček à la tête du parti et la plupart des réformes libérales sont abandonnées. Le printemps de Prague a inspiré la culture des années 1960-1980 avec les œuvres de Karel Kryl et Milan Kundera (L'Insoutenable Légèreté de l'être).
Déroulement
Dans les années 1950, la Tchécoslovaquie connait une croissance économique élevée (de l'ordre de 7 % en moyenne par an) permettant une augmentation substantielle des salaires et du niveau de vie, ce qui favorise la stabilité du régime
Dans les années 1960, la République socialiste tchécoslovaque, qui fait partie du bloc soviétique, est dirigée par Antonín Novotný, qui se trouve également à la tête du Parti communiste tchécoslovaque (PCT) entre 1953 et 1968. Ce dernier entame un processus de déstalinisation moins rapide que dans les autres pays d’Europe de l’Est : les victimes des procès de Prague (1952), qui visaient l'élimination de communistes de la première heure comme Rudolf Slánský, sont réhabilitées dans les années 1960
. Au printemps 1968, le gouvernement autorise les entreprises à inciter les travailleurs à participer à la gestion de leur société via des comités d'entreprise.
Ce versant économique du socialisme à visage humain ne vise pas l'économie de marché ni le renversement du socialisme, mais constitue un réformisme socialiste. Cette tentative de réforme de l’économie engagée en 1965 suscite dans la population une aspiration à des changements politiques
Dès les années 1960, les dissidents s’organisent pour dénoncer les abus du régime : l’Union des écrivains tchécoslovaques utilise la gazette Literárni noviny (« Journal littéraire ») pour réclamer une littérature indépendante du pouvoir. En juin 1967, certains écrivains comme Ludvík Vaculík, Milan Kundera, Pavel Kohout et Ivan Klíma se rapprochent des socialistes radicaux. Quelques mois plus tard, le parti communiste décide de prendre des mesures contre les intellectuels qui s’expriment en faveur des réformes : le contrôle sur Literární noviny et sur les maisons d’édition est transféré au ministère de la Culture
Le régime est de plus en plus contesté : en 1967, le Premier secrétaire du Parti communiste slovaque, Alexander Dubček, et l’économiste Ota Šik défient le pouvoir ; un mouvement, venu de l'intérieur du Parti communiste tchécoslovaque (PCT), conteste la direction, particulièrement son Premier secrétaire, Antonín Novotný. Celui-ci demande le soutien des Soviétiques, qui n’interviennent pas.
Le socialisme à visage humain
En , devenant le président du Parti communiste tchécoslovaque, Alexander Dubček annonce des réformes et son intention d’appliquer en Tchécoslovaquie un « programme progressiste.
À l’occasion du anniversaire du coup de Prague de , Dubček prononce un discours expliquant la nécessité de réformer le socialisme. Il évoque le rôle du parti dont le but est de bâtir le socialisme sur des fondations économiques solides, un socialisme qui correspond aux traditions démocratiques de la Tchécoslovaquie.
En avril, il lance un programme d’assouplissement du régime :
-affirmation des libertés et droits fondamentaux (presse, expression, réunion, circulation).
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Démocratisation de la vie politique en favorisant le multipartisme
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limitation le pouvoir de la police d’État.
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Son autre objectif est d’assurer la reconnaissance par la Constitution des nations égales tchèque et slovaque sur un pied d’égalité ainsi qu’une évolution vers le fédéralisme
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politique étrangère : la Tchécoslovaquie doit entretenir sa coopération avec l’URSS et les autres pays communistes, tout en maintenant de bonnes relations avec les pays du bloc occidental. Cependant, le programme prend bien soin de ne pas remettre en cause le système communiste dans son ensemble, tout en soulignant l’obsolescence de certains points de la doctrine marxiste-
L’annonce des réformes entraîne rapidement une montée des critiques contre l’URSS dans la presse et la reformation du Parti social-démocrate tchèque, absorbé de force par le PCT en 1948. Devant la multiplication des clubs politiques et la démocratisation du système, les conservateurs communistes réclament des mesures répressives, mais Dubček préfère la modération tout en réaffirmant la prééminence du parti. Le PCT est partagé en deux groupes, le premier soutenant les réformes (Josef Smrkovský, Oldřich Černík (en) et František Kriegel (en)), l’autre refusant toute libéralisation (Vasil' Biľak (en), Drahomír Kolder (cs) et Oldřich Švestka (cs)). Au mois de , Dubček annonce la convocation du congrès du parti pour le 9 septembre suivant, avec trois objectifs : écrire une loi fédérale, élire un nouveau comité central et intégrer le programme de réformes dans les statuts du parti.
Les réformes de Dubček garantissent
-la liberté de la presse : un commentaire politique est pour la première fois admis dans un médiade masse19. Le , le journaliste et écrivain Ludvík Vaculík publie un manifeste intitulé Les Deux Mille Mots dans lequel il critique le conservatisme du parti communiste et appelle ses concitoyens à réclamer plus de liberté. Dubček, le Présidium du parti et le Front national dénoncent le manifeste.
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la réhabilitation des opposants :Les anciens dirigeants communistes injustement condamnés lors des procès de Prague dans les années 1950 sont réhabilités.
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L'ouverture des frontières vers l'ouest sont brièvement ouvertes à la fin de l'été 1968
Le programme de Dubček comporte également des réformes économiques. Un économiste réformateur, Ota Šik, est promu au poste de vice-Premier ministre et membre du Comité central du PCT. Il dresse alors un tableau accablant du retard de l'industrie tchèque, autrefois l'une des premières d'Europe. Ce rapport, connu de tous, fait apparaître le système économique comme le principal responsable de cet échec.
-Modernisation des industries (-Dubček veut encourager les industries de biens de consommation et de pointe plutôt que de rester sur le modèle stalinien de développement basé sur les industries lourdes, d’équipement et de main d'œuvre.
-Lier l’économie planifiée à l’économie de marché pour sortir le pays de la crise commerciale
Le principe de base est de réduire le pouvoir du Comité de planification centrale et de donner une plus grande marge de manœuvre aux responsables des entreprises. Celles-ci sont libres de définir leurs objectifs à court terme, mais doivent viser la rentabilité et réaliser des profits
-Une économie libérée de la tutulle de L'État : l'Etat doit graduellement cesser les subventions, de fixer les prix et l’économie s’ouvrir progressivement à la concurrence internationale.
-Les exportations doivent être encouragées. De plus, le gouvernement fusionne certaines entreprises selon un principe sectoriel ressemblant aux trusts ou aux cartels, dirigés par des « directoires de branche »
- Les comités d’entreprises des travailleurs , vers l'autogestion .Le pouvoir autorise les entreprises à développer les comités d'entreprise et les premiers conseils de travailleurs se mettent en place, adoptent des statuts plus ou moins autogestionnaires.
Le début de la fin d'un rêve
Les dirigeants soviétiques perçoivent néanmoins comme une menace contre leur hégémonie sur l'Europe de l'Est ces réformes . Aussi, les dirigeants soviétiques accentuent leur pression sur la direction du Parti communiste tchécoslovaque pour freiner, voire inverser le cours des événements.
En Hongrie, János Kádár accueille avec enthousiasme le programme tchécoslovaque en . En URSS, Brejnev s’inquiète d’une libéralisation qui risque de fragiliser le camp soviétique en pleine guerre froide
L'intervention des troupes du Pacte de Varsovie en en Tchécoslovaquie, pour mettre fin au printemps de Prague, illustre le principe de la « souveraineté limitée » et préfigure ce qui va devenir peu après la doctrine Brejnev. Dans la nuit du mardi 20 au mercredi , les forces armées de cinq pays du Pacte de Varsovie — URSS, Bulgarie, Pologne, Hongrie et RDA — envahissent la Tchécoslovaquie. En revanche, ni la Roumanie, ni l’Albanie ne participent à l’opération ; l’Albanie décide de se retirer du Pacte de Varsovie après les événements36.
La période du printemps de Prague prend fin lors de l'invasion qui a lieu dans la nuit du mardi 20 au mercredi . 400 000 soldats, 6 300 chars des pays du Pacte de Varsovie, appuyés par 800 avions, 2 000 canons, envahissent le pays
Alors que d’imposantes forces blindées-mécanisées franchissent la frontière et que des raids héliportés sont menés contre des objectifs à faible profondeur, les parachutistes des armées du Pacte de Varsovie reçoivent comme principale mission d’investir Prague. Le mardi à 20 heures 30, des parachutistes en civil arrivent discrètement par un vol de l’Aeroflot sur l’aéroport de Praha-Ruzyně et en prennent rapidement le contrôle. Quelques heures plus tard, les premiers Antonov An-12 atterrissent pour débarquer troupes et matériel lourd. Les hommes de la division aéroportée de la garde (DAG) commencent alors à faire mouvement vers le centre de Prague, investissant en chemin le palais présidentiel au château de Prague et mettant virtuellement le président Ludvík Svoboda en état d’arrestation. Une dizaine d’heures suffisent pour que la ville tombe aux mains des parachutistes soviétiques. La jonction avec les forces terrestres qui entrent dans Prague est réalisée le mercredi 21 août au soir.
Le rôle de l'armée Tchécoslovaque
Les soldats tchécoslovaques se tenaient prêts à combattre et ont attendu en vain une décision politique dans ce sens. Certains soldats ont même dessiné en bleu sur des cartes les positions des armées soviétiques. Le bleu était alors la couleur pour désigner l'ennemi. Un officier a été expulsé de l'armée pour cette raison.
Le haut commandement était certainement au courant des préparatifs de cette invasion et était aidé par des membres du ministère de la défense tchécoslovaque.
Il était impossible qu'un regroupement massif de troupes soviétiques aux frontières de la Tchécoslovaquie, pendant plusieurs mois avant l'intervention, passât inaperçu auprès du haut commandement militaire tchécoslovaque.
Cependant, d'après le témoignage d'Alexander Dubcek, à l'époque le Premier secrétaire du Parti communiste, le gouvernement tchécoslovaque ne croyait pas jusqu'à la dernière minute que cette invasion puisse avoir lieu.
Les officiers tchécoslovaques de moindre grade désiraient intervenir. En l'absence de décision politique, ils opposèrent une résistance passive, en refusant par exemple de rendre leurs armes aux Soviétiques.
Le peuple en résistance
Le peuple s'est également illustré par de nombreux actes de résistance passive. Dans l’après-midi du , des dizaines de milliers de manifestants défilent dans les rues dans l’après-midi. Ils bandent les yeux des statues des héros tchèques. Les panneaux indicateurs sont déplacés afin de semer le trouble dans l'armée adverse. Plusieurs personnes se regroupent autour des bâtiments de la Radio publique, notamment à Prague et à Pilsen. La radio a donc pu continuer à émettre librement et informer le pays de l'invasion.
Le combat des Tchèques et Slovaques est décrit au chapitre "La défense non-violente tchécoslovaque contre l'occupation soviétique en 1968"
L'invasion de la Tchécoslovaquie provoque la mort de 7241 à 90 personnes et fait plusieurs centaines de blessés. Alexander Dubčekappelle son peuple à ne pas résister. Depuis la bataille de la Montagne-Blanche, en 1620, les Tchèques ne se sont jamais défendus militairement contre les invasions. Le Congrès du Parti communiste tchécoslovaque, prévu pour le 9 novembre, se réunit secrètement . Environ 1 100 délégués s’assemblent dans les usines du CKD dans la banlieue de Prague et dénoncent l’entrée des troupes étrangères.
Les Soviétiques échouent donc à former un « gouvernement ouvrier-paysan » comme à Budapesten 1956. Cependant, des recherches récentes suggèrent qu’en réalité, certains conservateurs comme Biľak, Švestka, Kolder, Indra et Kapek avaient envoyé une requête à l’URSS pour réclamer une intervention militaire
L’invasion provoque une importante vague d’émigration qui finit par s’arrêter quelque temps plus tard : on estime le nombre des départs à 70 000 immédiatement après l’intervention. Sur toute la période soviétique, 400 000 Tchécoslovaques quittent leur pays.
Le 16 janvier 1969, Jan Palach, un étudiant s’immole par le feu sur la place Venceslas à Prague en protestation contre la suppression de la liberté d’expression.
L’exemple de Palach est suivi par Jan Zajíc un mois plus tard et par Evžen Plocek en avril.
Dans la nuit du 28 aout 1969 , 500 000 personnes manifestent spontanément : 21 garnisons soviétiques sont attaquées.
Le premier anniversaire de l’invasion soviétique soulève de nouvelles manifestations
Le Printemps de Prague conduit Brejnev à durcir le régime en poursuivant les dissidents et en agitant la menace d’une intervention militaire dans le bloc soviétique devant toute réforme selon la théorie de la « souveraineté limitée
Le parti et les organes politiques sont repris en main du parti par l’élimination des éléments réformateurs et le socialisme à visage humain prend fin. Tous les dirigeants du PCT de l'année 1968 sont destitués et parfois, condamnés à la suite de procès. De nombreuses exclusions sont prononcées, et le congrès qui avait condamné l’invasion est déclaré « nul et non-avenu » Les intellectuels et des milliers de Tchèques perdent leur emploi. Le nouveau dirigeant s’attache à restaurer les liens avec les autres pays socialistes. Le seul changement significatif qui reste est le fédéralisme, qui aboutit en 1969 faire de la République socialiste tchécoslovaque une fédération composée de deux républiques autonomes, la République socialiste tchèque et la République socialiste slovaque.
Le contrôle complet de l'armée représente alors un enjeu important pour le PCT. Après la purge, l'armée est entraînée à réagir aux éventuelles protestations populaires. Ainsi, dès , l'armée écrase des manifestations contre l'occupation. Un régiment de chars est utilisé pour la premièrefois contre la foule par l'armée tchécoslovaque.
Réactions internationales
Le 25 aout une manifestation de soutien aux Tchécoslovaques se rassemble sur la place Rouge à Moscou : vers midi, huit Soviétiques déroulent des banderoles où sont inscrits des slogans dénonçant l’invasion.
-la Chine populaire dénonce aussi l'invasion.
-Les partis communistes finlandais, italien et français dénoncent l’occupation
Epilogue
Dubček, est d'abord « promu » président du parlement fédéral (1969/70), puis exilé ambassadeur à Ankara, avant d'être rappelé rapidement et confiné dans un emploi de jardinier dans un parc public. En 1987, l'université de Bologne lui confère le titre de docteur honoris causa. Il revient sur le devant de la scène politique, lors de la révolution de Velours, puis décède dans un accident de voiture le .
En 1987, le dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev rend hommage à Dubček et au socialisme à visage humain au moment où il applique la glasnost et la perestroïka. Lorsqu’il est interrogé sur la différence entre le printemps de Prague et ses propres réformes, Gorbatchev répond simplement : « 19 années ». Mais c'est seulement en , après la chute du mur de Berlin qu'il reconnaît publiquement et clairement la faute commise en aout 1968
sources wikipédia
Le Printemps tchécoslovaque 1968, Complexe, 1999.
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Alexandre Dubček, C'est l'espoir qui meurt en dernier (autobiographie), Fayard, 1993.
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La Révolution des Conseils ouvriers, 1968-1969 (recueil de textes traduits du tchèque), Seghers, 1978.
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Heda Margolius Kovály, Le premier printemps de Prague, Payot, 1991 (ISBN 2228883972).
-
Locussol-Mascardi, Sur les Traces du Printemps de Prague, Manuscrit, 2004 (ISBN 2748147022).
-
Miroslav Novak, Du printemps de Prague au printemps de Moscou, Lug, 1990 (ISBN 2825701904).
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Robi Morder, « Prague, un printemps en hiver », Les années 68, un monde en mouvement, Syllepse, Paris, 2008.
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Anthony Sitruk, La Vie brève de Jan Palach, Le Dilettante, 2018 (ISBN 978-28-4263-967-9)
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Mémoire témoignage
J'avais seize ans , je me souviens de ce matin d'été du 20 aout 1968, quand j'apprenais par la radio l'invasion de la Tchécoslovaquie , le printemps de Prague piétiné sous les chars russes.. Je me souviens de la réaction de mon père condamnant amèrement une fois de plus l'autoritarisme de Moscou et l'ingérence insupportable du parti communiste soviétique dans les affaires des peuples ...Je me souviens avoir pleuré .Je trouvais la force avec ma plume et à travers les mots d'extérioriser ma tristesse sur des pages de cahier dans un poème dont je ne me souviens pas de tous les vers.
Prague
-Prague jouissait d'un bonheur mérité
Et la colombe chantait enfin les airs de liberté
Mais sont venus les spectres rouges dOrient
Et Prague aujourd'hui plie sous les bottes du tyran.
Il y aurait oh si Prague, oh tu le voulais
Un élan plus fort que tout l'orient
Qui te prendrais oh Prague et te soulèverais
Il y aurait oh si Prague oh tu le voulais ... !