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Le cahier à carreaux
Dans une ferme proche d' Hendaye pays basque 19 février 1939
C'était une journée très froide de février.Il était dix huit heures .
Il avait neigé fort .On venait de frapper à la porte .
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Marie s'appliquait sur son cahier d'écolière : un grand cahier à gros carreaux . Elle leva la tête.
Augustin son père, alla ouvrir. Dans la lueur de la lampe à pétrole qui éclairait la cuisine, la fillette distingua une silhouette d' homme puis derrière lui ,une silhouette plus petite et celle d'une femme. Augustin leur parla en basque :
-Entrez ! Soyez les bienvenus !
La mère de Marie ,Roselyne , les accueillit et les installa près de la cheminée tandis que son époux allait dans la remise récupérer du bois .
-Vous devez être épuisés et transis de froid !
-Merci madame ! dit l'homme .Nous allons bien .
-Je vais préparer une bonne soupe pour nous réchauffer et reprendre des forces .Nous dinerons dans un quart d'heure.
Elle s'adressant à sa fille , Marie :
-Range tes devoirs.Tu les reprendras après souper. Aide -moi , mets la table. Et sors le joli couvert et la nappe blanche ..
L'enfant s'exécuta, mit la belle nappe du dimanche sur l'immense table de chêne et sortit les couverts qu'on gardait pour les grandes occasions.
Le garçonnet adressa un regard à Marie. Il devait avoir son age : onze ans.
La fillette demanda à voix basse à sa mère :
-Maman qui sont ces gens ?
-Des républicains espagnols ! Ils fuient les armées de Franco .Ils vont se réfugier en France après avoir passé les Pyrénées ....
C'était la « Retirada » cet épisode autant héroïque que tragique de l'histoire du peuple espagnol et de sa république .
Roselyne débarrassa ses convives de leurs lourds manteaux de laine et de peaux de moutons. Elle questionna le jeune garçon :
--Comment t’appelles tu ?
-Hugo !
-Comme Victor Hugo votre grand auteur ! Expliqua le père.Moi c'est Gabriel et ma femme c'est Elisa.
-Et nous c'est Marie ma fille , Augustin mon époux et moi Roselyne .
-Nous sommes très heureux d’être ici ! Dit Elisa un grand sourire aux lèvres.
-Entre basques il faut bien s'entr'aider !
Ajouta Augustin qui venait de rentrer avec des bûches de bois tassées dans une brouette .
Les deux familles prirent place autour de la grande table . Une cruche en céramique décorée et une bouteille de bon vin rompaient le blanc immaculé de la nappe.
Augustin offrit avant le repas un verre de muscadet aux adultes et aux enfants du sirop de fraise . Puis Roselyne partagea avec ses hôtes un bon bouillon de légumes, suivi d' une omelette avec des pommes de terre .
-Comme en Espagne ! S'écria Hugo . C'est une tortilla !
-Une torpille ? Répéta , Marie
Tous éclatèrent de rire.
-Une tortilla ! Articula Gabriel.
-Vous pouvez loger ici chez nous cette nuit et les suivantes . Proposa Augustin. Nous avons une grande chambre vide occupée par nos deux filles ainées qui sont en pension pour le moment à Bayonne.Il y a trois lits adultes. Marie couchera avec nous .
-Nous ne voulons pas vous déranger ! S'excusa Elisa.
-Vous ne nous dérangez pas ! Rassura Roselyne.Je vous assure n'ayez ni crainte ni gêne !
-Nous détestons tous ci au pays basque ce Franco qui a osé se rebeller contre votre république et demander l'aide des deux dictateurs Hitler et Mussolini.Quand je pense à ce que les allemands et leur aviation ont fait à Guernica … !
Ils restèrent ainsi à parler encore longuement puis Roselyne proposa aux réfugiés de monter s'installer dans la grande chambre et de se reposer. Ce qu'ils firent.
Ils avaient échangé en basque la langue commune de cette région à cheval sur la frontière Pyrénéenne, au sud ouest de la France et au Nord de l'Espagne proche de la Navarre et de l'Aragon .
Roselyne aidé de sa fillette débarrassa la table et rangea la vaisselle, tandis qu'Augustin allait tirer de l'eau au puits . Puis il s'installa face à la cheminée pour lire les dernières nouvelles du journal qu' il venait d'ouvrir .
-Quelle nouvelles ? Questionna Roselyne alors que Marie venait de s’installer à nouveau sur la table avec son cahier à gros carreaux.
-Très mauvaises pour nos amis espagnols ! Franco, Hitler et Mussolini viennent d'enterrer leur république !
-Aujourd'hui l'Espagne , demain la France ! S’exclama tristement Roselyne.
-Tu as raison le fascisme va s'étendre à toute l'Europe . Si les gouvernants les chefs d'état européens avaient stoppé Franco nous serions certainement protégés du fascisme qui ne se propagerait pas en vainqueur dans la péninsule ibérique, à deux pas de chez nous...
Marie butait sur ses devoirs :
-Tu n'as pas fini encore tes devoirs ? demanda Augustin.
-Je dois faire encore une rédaction un problème et quatre opérations.
-C'est quoi le sujet de ta rédaction ? Demanda le père.
- »Vous venez de rencontrer un inconnu, décrivez votre rencontre ».
-Eh bien ! Dit Roselyne tu peux parler de nos invités mais tu ne dis pas que ce sont des réfugiés et d'où ils viennent .
Marie se lança alors dans la rédaction d' un texte sur son grand cahier à carreaux. Au bout d'un quart d'heure, elle lut son récit à ses parents qui approuvèrent son histoire.
Il était presque vingt et un heure trente et Marie n'en finissait pas avec ses devoirs.
-Je n'y comprends rien à ce problème et j'ai oublié comment faire des divisions !
-Je peux l'aider ! Proposa une voix jeune venue du haut de l’escalier.
C'était Hugo.
-Tu n'es pas couché ? Questionna Augustin .
-Je ne peux pas dormir . Mes parents se sont écroulés dans leur lit et dorment à points fermés voilà une bonne heure , moi je tourne je tourne encore …
-Descends ! Proposa Augustin .
-Je vais préparer une bonne tisane qui te fera dormir ! Consola Roselyne .
Le jeune garçon expliqua le problème à Marie, lui donna des exemples et rédigea la solution dans le grand cahier à carreaux .
Pour les divisions, Hugo demanda des feuilles de brouillon et expliqua la technique de la division . En un rien de temps , Marie comprit et calcula seule ses opérations.
-Merci Hugo !
-Oh je n'ai aucun mérite ! Dit humblement Hugo . Mon père est Professeur de mathématiques !
Après la tisane tout le monde alla se coucher .
Le lendemain Marie retourna à l'école le cœur léger avec son cahier .Le maitre lui mit 20 sur 20 en mathématiques et 15 sur 20 en rédaction.
Elle était heureuse et à midi lorsqu'elle retourna chez elle elle voulut encore remercier Hugo.
-Il est parti . Un berger qui est un guide -passeur est venu les chercher
Marie en fut bouleverser et très attristée
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-Pourrons -nous les revoir ?
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-Je ne sais ma fille , avec la guerre, l'exode !
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-Mais où vont- ils aller ?
-En France d'abord .Gabriel a l'intention d 'embarquer avec Elisa et Hugo pour le Mexique : il a là-bas son frère et des amis …
Des années après, Marie chercha Hugo et les siens . Elle essaya de retrouver leurs traces . De fausses nouvelles en faux espoirs et désillusions, elle apprit que Hugo et ses parents avaient bien embarqué sur un navire en partance pour le Mexique mais que ce bateau n'était jamais arrivé à bon port .
Elle conserva le grand cahier à carreaux seuls souvenirs de cette nuit qui l'avait marquée à tout jamais : le trouble d 'une vie .