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chapitre II ":
Les trois chemins" partie 1ère

Résumé du premier chapitre : "Hecho"

Tonin, Angel ,Antonio trois garconnets de sept et huit ans habitent un village du Haut Aragon dans les Pyrénées, à Hecho. Amis depuis toujours, ils partagent ensemble la vie de jeunes montagnards : l'école, les fêtes et traditions, les passions : le théâtre et la musique. Cette insouciance va vite faire place à une adolescence sacrifiée aux événements dramatiques de l'Histoire de leur pays. Ces trois garçons unis depuis toujours qui s'aiment comme des frères, vont devoir choisir des chemins bien différents .

Tonin admirait son grand frère Innocencio, aux grandes idées qui ne ressemblait à personne :

-Il faut apprendre à l'école tout ce que tu peux apprendre" !Disait-il à son petit frère tant aimé.

- Un homme instruit est un homme fort ! Ajoutait-t-il . La culture est l'arme la plus dangereuse du peuple. Moi je n'ai pas assez étudié. Je le regrette maintenant. Tu vois moi aussi je vais à l'école, mais je suis bien plus vieux que toi. Mais je veux devenir autre chose qu'un bon berger de Hécho.

- Tu n'es pas heureux ici avec nous tous ? questionnait Tonin, les larmes aux yeux.

-Si fait ! Je suis bien ici. Mais je ne serai heureux que lorsque la majorité des hommes et des femmes de ce pays seront comme moi heureux. Vois-tu on ne peut pas ignorer la misère des autres, et vivre comme si tout allait bien. Il ne faut pas penser qu'à soi, qu'à son petit bien être personnel égoïste.

- Les autres le font, pourquoi pas toi ?

- Parce que je ne suis pas tout à fait comme tout le monde. Et puis si j'étais comme tout le monde m'aimerais -tu autant ?

Tonin se tut. Certes il aurait tant aimer garder Innocencio pour lui tout seul. Mais il savait qu'en voulant le garder coûte que coûte, il le perdrait définitivement. Il le laissa partir à la recherche de son destin, la mort dans l'âme....

Trois années s'écoulèrent 1923 Primo de Rivera, général en chef, assuré du concours des classes dirigeantes et des garnisons, se proclama chef d'un "directoire". Et le roi accepta. Les années qui devaient suivre accentuèrent les différences sociales déjà très prononcées, à part te travail de nuit des femmes, qui fut réglementé, les salaires ne furent pas rehaussés alors que la richesse des classes possédantes, allaient en s'accroissant insolemment...Et la question agraire demeurait sans solution immédiate. La révolte grondait. Tonin ne voyait  que très rarement Innocencio. Il  s'occupait de l'impression des journaux révolutionnaires de Jaca.Quand il le pouvait, il allait voir son jeune frère mais évitait la "Casa Chilica" car il s'était définitivement fâché avec sa mère, «Juliana" à propos de Gracia avec qui il vivait maritalement. Innocencio avait présenté Gracia à Tonin, qui avait vu en elle une merveilleuse amie pour son grand frère tant aimé. Souvent Tonin passait des journées avec les enfants de Gracia  plus jeunes que lui : ils se baignaient, jouaient, chantaient.

.. Une année s'écoula encore...Tonin venait de fêter ses onze ans.

Innocencio travaillait également dans la forêt comme forestier. Il était chargé de transporter le bois coupé. Son travail au journal ne lui permettait pas de vivre alors il avait trouvé un emploi qui lui permettait de rester auprès de Gracia. Il avait été le premier à Hécho à passer son permis de conduire, mais, il n'avait pu s'acheter de véhicule personnel, aussi avait-il utilisé cette compétence, rare à l'époque, pour se "faire" sa place de chauffeur dans la province de Hécho, et travaillait pour les grandes scieries du nord de l'Aragon.

Un matin de très bonne heure on frappa à la porte de la "Casa Chilica".

-Ouvrez, Juliana, ouvrez vite !

-Innocencio a eu un accident !  Le camion, il s'est renversé..

- C'est grave ? -Oui !

- Parle ! Ordonna la mère de Tonin.

- Il est mort sur le coup ! La chaussée était glissante.... Elle ne l'écoutait plus. Elle ne dit pas un mot. Alla s'asseoir, croisa les bras, et resta là immobile des heures, le regard dans le vide, terrassée. Tonin avait tout entendu , il s'enferma dans sa chambre et pleura amèrement la disparition de son grand frère préféré.... Dieu lui avait déjà pris son père, qu'il adorait, et maintenant c'était le tour d'Innocencio, son deuxième père.

Les obsèdes se déroulèrent simplement, et la famille se referma sur elle-même. "Plus rien ne sera comme avant" pensait Tonin. Je ne pourrai plus jamais être heureux. Quelque chose avait cessé de vivre en lui... Un étrange pressentiment l'envahit : la mort d'Innocencio sonnait le glas de son enfance .

 Les trois chemins

 

Le temps passa sur les êtres et sur les choses.... Voilà sept ans qu'Innocencio était mort. Tonin venait d'avoir dix huit ans. Il devait prochainement faire son service militaire. 1931 : L'Espagne était en effervescence. Dans les grandes villes industrielles ainsi que dans les régions du "latifundio" (grande propriété terrienne aux mains d'un maître), des mouvements contestataires s'étaient organisés afin d'apporter des solutions de rechange à la société ibérique. Tonin lisait beaucoup. Il avait quitté à douze ans l'école, mais avait découvert seul, le goût de lire, de savoir, de s'instruire. Innocencio lui avait d'ailleurs légué un nombre importants d'ouvrages . Il les avait dévorés. L'image de ce frère disparu accidentellement à l'aube de sa vie, le hantait. Depuis sa disparition, il n'y avait  pas de jour où il ne songeait à lui, où il ne rêvait de lui. Il avait la certitude, que  là- haut, il veillait sur lui. Parfois, sa silhouette fine et jeune lui apparaissait dans la casa Chilica. Mais c'était surtout son rire qu'il percevait encore, ce rire si moqueur, si puissant, qui le sortait de son sommeil. Tonin attendait le soir, l'heure du coucher pour se confier à lui. Pourtant il n'était plus croyant et avait définitivement coupé avec l'Eglise, mais il demeurait convaincu qu'Innocencio l'entendait et demeurait à ses côtés.

Tonin s'interressa très vite à la politique : il lu Marx ,Proudhon, Bakounine et les autres...Il était abonné au journal d'extrême-gauche : l'"Anarcho-syndicalisme". Il était le seul à Hécho à posséder une bibliothèque conséquence dont il faisait profiter qui le lui demandait, jeunes et moins jeunes.Il était inscrit au syndicat de la CNT (tendance anaro-syndicaliste) de Hecho. Son cousin  Angel, ne partageait pas ses idées . Il n'avait pas atteint le niveau d'analyse de Tonin. Pour lui les choses étaient simples , rien ne devait changer : les riches devaient être riches, et les pauvres pauvres. Les inégalités étaient justifiées et nécessaires....La grosse masse analphabéte ne devait attendre de salut que dans la foi ! Tout devait demeurer en état sans bouleversement ni transformation. Le progrès c'était l'aventure, le conflit ,la ruine. L'Eglise, ciment de la société devait tenir son roôle de maitre spirituel et diriger l'Espagne. Dieu et le Roi représentait son idéal. Issu d'une famille traditionnelle et aisée, Angel n'avait jamais manqué de rien.Pourquoi aurait- il voulu changer la vie puisque la vie était très bien ainsi ? Il désirait faire carrière dans l'armée et devenir " guardia civil". Tonin et Angel terminaient leurs discutions en véritables disputes.Angel pensait que Tonin avait lu trop de livres et que les idées subversives lui étaient montées à la tête.Tonin, voulait "réveiller" son cousin et le faire "avancer".

Quant à Antonio, la politique ne l'interressait pas du tout ! Il ne voulait entendre parler ni de la gauche de Tonin, ni de la droite d'Angel . Il était amoureux fou d'Elisa, la plus belle fille du village. Blonde aux yeux bleus, elle savait enflammer le coeur des jeunes gens du village..Elle n'avait su résister au charme fou d'Antonio. Il était devenu un jeune homme d'une très grande beauté , doué pour la musique, le chant mais aussi la parole. Cinquième enfant d'une "casa" pauvre, il avait connu tout petit la misère et l'infortune...Elisa était la fille du maire. Malgré ces différences sociales, ils s'aimaient depuis toujours. Aux dernières fêtes d'Hécho, ils ne s'étaient pas quittés. L'Alcade n'y avait accordé aucune importance : cela faisait des années qu' ils étaient inséparables ! Tonin avait remarqué que les relations entre les deux jeunes gens avaient évolué...Elisa avait dix huit ans et Antonio, dix neuf : ils n'étaient plus des enfants, mais des adultes .

Tonin partit sous les drapeaux quelques mois plus tard. Il eut toutes les peines du monde à se soumettre au régime militaire. L'adjudant-chef l'avait pris en grippe.

- J'ai maté d'autres fortes têtes ! Tu n'es pas le premier ni le dernier !

Tonin répliquait avec toute l'insolence et l'arrogance qui étaient les siennes.. Il fut mis à l'écart et placé dans un régiment disciplinaire. Très vite il éprouva une aversion irréversible pour l'armée. Avant d'être soldat, il avait critiqué cette institution, ses paradoxes et son esprit (si tant est qu'elle en ait un .) Mais aujourd'hui, en tant que soldat, son indignation devint de la révolte.

Dans un minuscule cachot privé de lumière et de nourriture, il tint conseil avec lui-même. Que voulait-il au juste ? Quitter l'armée ! Etait-ce possible ? Il réfléchit : il avait trois possibilités :

-s'adapter, se taire, se soumettre, obéïr à ces imbéciles, leur lécher les bottes comme il le demandait pour être tranquille. En était-il capable ? - Non, il ne pouvait pas faire cela ! Il ne le pourrait JAMAIS ! Se soumettre à la bêtise et à la force jamais. Son idéal d'homme libre, sa conscience le lui interdisaient.

-Deuxième possibilité : déserter ! Cette alternative était tentante, mais comportait des conséquences irrémédiables : il déshonorerait la "Casa Chilica", et serait obligé de fuir toute sa vie. Cette idée là lui était insupportable. Non il ne voulait pas d'une existence dans l'ombre, lui qui avait toujours vécu à la lumière du grand jour.

-Enfin il y avait une dernière solution : pour ne plus être commandé, devenir lui-même un chef, un officier au-dessus de tous ces minables d'adjudants ! Innocencio toujours présent dans son coeur, lui souffla le chemin à suivre. Il s'inscrivit au concours de "sergent".

Après des épreuves de mathématiques, d'histoire et de géographie, il y eut des épreuves de stratégie... Tonin sortit troisième sur 300 : les deux premiers étant fils de militaires. Le jeune homme avait impressionné le jury par ses connaissances, son audace de stratège. Une fois officier, il termina "tranquillement" son service. N'ayant plus d'ordres ridicules à recevoir, il consacra son temps, à s'instruire encore, et à apprendre le commandement.

L'Espagne l'inquiétait. Lorsqu'il quitta l'armée à vingt ans, il retourna à Hécho. Il retrouva ses amis d'enfance : Angel qui optait pour la carrière de guardia civil, et Antonio qui n'allait pas bien : le maire alerté par les ragots des dévotes, venait de lui interdire  la fréquentation de sa fille. Il surveillait de près Elisa. Seulement les relations entre les amoureux avaient été très loin, et l'inévitable devait se produire : le premier citoyen de Hécho dut se résoudre à l'évidence : sa fille attendait un bébé. La honte frappait sa maison. Alors il la chassa, la fit sortir du village une nuit d'octobre la menaçant de mort, si elle osait reparaître devant lui.

Le vieux Célestino avait tenté l'impossible pour éviter le drame : veuf sans enfant, il donnait sa petite fortune à Antonio qu'il aimait comme son propre fils, mais le maire avait refusé froidement :

- Je ne veux pas d'un cul-terreux dans ma famille ! Jamais je ne les marierai ! Il m'a déshonoré, et ma fille est sa complice. JE NE VEUX PLUS ENTENDRE PARLER D'EUX !

Célestino fou de colère avait brandit sa canne et s'était mis à frapper l'Alcade de toutes ses forces de vieillard. Le pauvre homme fit une très grave attaque cardiaque qui le cloua au lit jusqu'à la fin de ses jours. Antonio rejoignit Elisa. Tonin et Angel les aidèrent en leur procurant vivres et argent; Antonio avait été appelé sous les drapeaux.

- Que vas-tu faire Antonio ? Vas-tu aller à l'armée ?

-Je me fous de l'armée, de l'Espagne ! Ce qui m'interresse aujourd'hui c'est Elisa et notre enfant. Jamais je ne la quitterai pour aller jouer au petit soldat ! Je suis contre l'armée, tu le sais. Comme toi avant ,que tu ne sois devenu officier Monsieur le Sergent -chef, pardon ! Capitaine , n'est-ce-pas ? Lança t-il ? Ironiquement à Tonin.

Tonin ne dit mot. Antonio continuait :

- Je veux que l'on nous laisse tranquilles. Je VEUX EXISTER !

Angel et Tonin s'éffondrèrent :

- Hombre ! Continuait Antonio. C'est vous qui pleurez ? Vous les grands militaires, vous les hommes de la future Espagne ?

Antonio plaisantait amèrement. Ces adieux étaient insupportables. Une angoisse horrible avait envahi Tonin. Un pressentiment atroce lui serrait la poitrine. Angel trancha :

-Adios Elisa !  adios Antonio ! la suerte con vosostros ! La chance avec vous !

Ils tombèrent dans les bras les uns des autres dans un sanglot et s'embrassèrent passionnément.

Tonin savait qu'il s'agissait d'un Adieu : l'adieu de l'ami, l'adieu de l'enfance, de l'insouciance de la paix du bonheur. Plus jamais ils ne seraient réunis tous les trois, dans ce village de Hécho . Antonio venait de choisir un chemin : celui de la désertion, du non-engagement, de la fuite.

Il prit la route des Asturies en compagnie d'Elisa. Là-bas l'industrie demandait des bras. Il trouverait à s'embaucher. Personne ne les connaissait. Il pensait refaire sa vie ou plutôt la faire !

Il débarqua chez Manuel, le frère de Gracia qui vivait à Oviedo. Gracia l'avait rejoint après le décès d'Innocencio. Elle avait  toujours gardé le contact avec Tonin et lorsqu'Antonio fut proscrit de Hécho, Tonin  eut l'idée de lui donner l' adresse de l'ex compagne d'Innocencio, dans le pays basque.

A Oviedo ,tout était différent : la vie des gens n'était pas la même. Les hommes bougeaient, les idées révolutionnaires trouvaient  un écho dans le peuple, parmi les ouvriers  malheureux . Manuel et Gracia travaillaient à la mine. Les enfants de Gracia étaient presque déjà élevés : José-Maria venait de fêter ses quinze ans et Santiago ses quatorze ans. Ils poursuivaient des études : c'était la volonté de leur mère :

- Tu dois te présenter au concours de maître d'école ! Insistait- elle auprès de José-Maria.

-Ces études vont être longues, et je ne veux pas être une charge pour la famille : je veux travailler ! Répliquait-il !

- Nous aider ! Tu veux vraiment nous aider ? Eh bien la meilleure manière de le faire est de devenir quelqu'un et de nous faire honneur !

- Tous les gens qui ont une position sont-ils tous des hommes honorables ? Vous savez bien que non ! La condition de l'homme n'a jamais été en rapport avec sa valeur : je con-nais plus d'honnêtes paysans pauvres et d'ouvriers, que de riches bourgeois honnêtes , sans parler des politiciens véreux...

-Tu as raison mon fils ! Mais à quoi cela te servirai t-il de rester pauvre et peu instruit ?

Finalement José-Maria céda et s'inscrivit au concours... Il passa brillamment les épreuves et sortit dans les premiers au concours.

Gracia avait hébergé Elisa et Antonio. Manuel parla à la mine pour le jeune homme et le fit rentrer. Quelques jours plus tard, les jeunes gens se marièrent simplement..Elisa s'embaucha comme modéliste dans une fabrique de vêtements.

L'agitation avait gagné tous les domaines de l'industrie dans lepays basque. L'alliance ouvrière se lança dans l'insurrection. Les ouvriers attaquèrent les casernes et les fabriques d'armes de Trubia et de la Vega....

Octobre 1934 .Elisa venait d'accoucher d'un superbe garçon qu'Antonio appela "Feliz" Ce qui veut dire "bonheur" , en espagnol. Antonio fut entraîné , malgré lui, dans des grèves sanglantes A la mine, les travailleurs occupaient tout : un comité d'ouvriers bloquait l'entrée des puits, empêchant la reprise du travail. Antonio se moquait bien des revendications, de ses camarades, mais il ne voulait pas passer à leurs yeux ni pour un traître ni pour un lâche. Aussi resta t-il chez lui, lors de l'agitation... Gracia quant à elle, était une militante active et tous les soirs, il y avait réunion chez elle pour décider des actions à mener. Parmi ces révolutionnaires il y avait une belle jeune fille , Marina. Elle tomba amoureuse folle d'Antonio qui l'évitait :

- La solution à la misère et à l'injustice, ne doit pas être une solution individuelle mais une solution collective ! disait-elle à Antonio.

Le jeune homme connaissait les sentiments de Marina pour lui, mais il aimait profondément Elisa. Marina se contenta de saprésence sans désespérer au fond d'elle-même. Dans cet amour impossible elle s'y était lancée comme dans cette grève et cette insurrection avec la passion du désespoir. Cependant la guardia civile commença à encercler la ville. Des régiments marocains furent même appelés pour noyer dans dans le sang, dirigé par un général nommé Franco. Ce fut le début de révolution. Alors il n'y eut qu'une solution : fuire dans la montagne. Les chefs couvrirent la retraite. Marina, Gracia et d'autres attendaient l'arrivée de l'armée...Quelques kilomètres en avant Manuel Elisa, Antonio, fuyaient...

La guardia civile tira sur les maquisards ; ils résistèrent le plus longtemps possible pour donner du temps à leurs compagnons Mais au bout d'une heure, les balles eurent raison de leur courage : Gracia, Marina moururent dans les collines en compagnie de leurs camarades de combat. Manuel, Elisa, Antonio et les autres marchèrent longtemps, sans mot dire : ils savaient quel avait été le sacrifice de ces amis tant aimés ! Manuel conduisit Antonio Elisa et leur bébé à Gijon ville proche d'Oviedo. Manuel était très éprouvé : la disparition de sa soeur l'avait plongé dans une tristesse désespérée : il voulait prendre sa place dans le maquis : elle avait refusé ; il fallait quelqu'un pour conduire, Antonio et Elisa en sécurité et lui seul connaissait le chemin. Antonio aussi voulait rester avec les résistants, mais à quoi cela aurait-il servi ? Il fallait qu'il vive car il avait une femme et leur fils !  Le soulèvement populaire fut liquidé dans le sang

 Manuel fit venir ses deux neveux auprès de lui. José-Maria resta un temps puis repartit pour ses études.. Le temps passa...

Antonio ne voulait toujours pas s'interesser à la politique. 1936 : Le Front Populaire venait en février d'emporter une belle victoire : ce fut une explosion de joie dans toute l'Espagne. Des garnisons se soulevèrent : les officiers refusèrent de reconnaître la volonté populaire démocratique. Ils se "prononcèrent" contre la nouvelle assemblée du Front Populaire : ce fut el "Pronunciamento" (coup d'état militaire). Mais l'armée pour la première fois dans l'histoire, refusa de suivre ses cadres. Les sous-officiers et les soldats passèrent du côté du peuple. Ce début de putsch militaire prit dedans de nombreuses villes une tournure dramatique.

A Gijon, hommes et femmes voulurent séquestrer la guardia civil qui venait de se prononcer contre la République légalement élue. Alors une fraction de l'armée réactionnaire marcha sur le peuple, massacrant impitoyablement enfants, vieillards, femmes. Elisa, Antonio et leur bébé se trouvaient dans les rues de la ville ce jour là. ils tombèrent sous les balles des réactionnaires.

Le plus jeune fils de Gracia, Santiago, voulut les aider mais périt lui aussi dans le massacre..

Antonio avait fui ta guerre. La guerre l'avait rattrapé. Il se moquait du destin de l'Espagne. Mais le destin venait de lui jouer un bien vilain tour. Manuel quitta le pays basque où il avait tout perdu : sa soeur,un neveu, des amis, ses espoirs, ses illusions.. C'est un homme marqué par la douleur qui arriva à Hécho un matin de printemps. Il apprit la terrible nouvelle à Tonin et à Angel qui s'éffondrèrent de chagrin... Tonin avertit les parents d'Antonio : ils restèrent de marbre. L'attitude légère de leur fils les avait jetés dans le discrédit.Alors, Tonin alla voir le maire du village L'Alcade . Il le mit à la porte :

-Je n'ai plus de fille : elle est morte voilà trois ans.

Alors il rejoignit son cousin Angel.

- Dire que leur famille n'ont aucune pensée pour eux ! Dire qu'ils n'ont même pas une tombe ! S'écria Tonin

- Ils ne pouvaient compter que sur nous vivants, alors morts ! C'est la guerre qui l'a rejoint. Personne ne peut lui échapper. J'ai reçu mon appel pour me rallier aux armées nationalistes. Toi aussi n'est-ce-pas ?questionna Angel

- Oui ! mais je n'irai pas !

- Que veux-tu dire ?

- Je ne rejoindrai pas Franco et ses amis fascistes.

- L'Arago, la Navarre et Hécho sont avec lui ! Insista Angel

- Moi, je ne le suis pas !

- Que vas-tu faire ?

- Quitter momentanément l'Espagne, Hécho en tous cas !.

- Quand ?

- Manana (demain).

- Alors nous allons nous séparer !

- Et toi Angel ! Pourquoi ne pas me suivre ? Pourquoi défendre ces insurgés qui ont osé tirer sur la République. Les amis de ceux qui ont assassiné Elisa, Antonio, leur bébé, les autres...

- Les républicains sont des incapables . Depuis qu'ils sont là, jamais la misère n'a été aussi grande dans les villes.

- La petite République n'a pas eu le temps en trois ans de régler les problèmes vieux de plusieurs décennies; mais je te raccorde, les hommes qui nous ont jusqu'à présent gouverné sont des incapables .Ils n'ont pas su répondre aux espérances du peuple et à ses problèmes profonds, matériels, philosophique-Mais aux dernières élections, le peuple a voté pour une république de gauche, socialiste libertaire. Une république du peuple, séparée de l'Eglise, comme les autres états européens..

- Les autres états sont différents : l'Espagne est l'Espagne chez nous les valeurs sont celles de la tradition.

- Et de la révolution ! ajouta Tonin

- Je te l'accorde ! Chez nous nous vivons les extrêmes : et aujourd'hui l'extrême c'est la république avec son cortège de grèves, de chômeurs, de décadence !

- Oui l'Espagne a son identité propre : passionnée et enthousiaste, la République dont tu parles n'a pas eu le temps de faire ses preuves : déjà on veut l'assassiner ! Mais je donnerai ma vie pour la défendre, et défendre la nouvelle Espagne.

-Je ne me reconnais pas dans ton Espagne ! Cette Espagne qui veut la Révolution, qui veut supprimer la religion qui veut tout détruire.

- Il n'est pas question de détruire mais de bâtir !

- Comment ? A coup de grèves ? De propagande ? D'anti-cléricalisme ?

- A coup de réformes, à coup de coeur à coup d'Espérance !

- Utopie ! Tout cela n'est qu'Utopie. Ce sont ces mêmes rêves que tu lisais quand tu étais gosse ! Mais ne comprends-tu pas que ta belle société égalitaire n'existe pas et n'existera jamais ? Tout ce que tu préconises : tes changements, tes idéaux, sont impossibles ?

- "C'est en cherchant ('impossible que ('homme a découvert le possible et ceux qui se sont sagement limités à ce qui leur paraissait le possible, n'ont jamais avancé d'un seul pas".

Ce n'est pas de moi mais de Bakounine, ce philosophe russe visionnaire..

- Tonin ! S'écria soudain Angel . Que nous arrive t-il ?Qu'arrive t-il à l'Espagne ? Nous nous aimions et nous nous aimons toujours, et voilà qu'à présent Antonio est mort et nous sommes prêts à nous tirer dessus l'un sur l'autre !

Ils demeurèrent ainsi sans rien ajouter. Y avait -il quelque chose à ajouter ? Toute discussion était inutile : Angel avait choisi son chemin. Tonin aussi. Tonin était isolé : à Hécho ses compagnons s'apprêtaient à rejoindre les troupes de Franco. A "casa Chilica" les idées républicaines et anticléricales n'avaient pas d'écho. Lorenzo ne voulait pas entendre parler de politique ni Francisco. Tonin pensait souvent à Innocencio : le seul qui aurait pu le comprendre et même mener le combat avec lui pour la République.

Angel choisit le second chemin : celui de l'Ordre de l'Autorité de la réaction, de l'Espagne de l'Eglise et du passé. Tonin choisit le troisième chemin : celui de l'Espoir, du Renouveau de la Liberté, de l'Espagne Républicaine, de l'Espagne de "Manana, demain" !.

 Roman  historique de la guerre d'Espagne : "Manana demain" cinq chapitres
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