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Les larmes du soleil

 

Je me souviens comme c'était hier , de mon enfance ensoleillée dans ce pays de mer : Oran la blanche, je me souviendrai toujours de cet été avant l'indépendance.

Nous étions trois amis : Aziz, Clara et moi Mathieu.Aziz était algérien .Ses parents d'humbles cultivateurs travaillaient dur dans un grand domaine tenu par de riches colons . Clara était la cadette des trois filles de Manuel Garcia et de Sarah Sanchez, tous deux enseignants au lycée d'Oran. Ses grands parents étaient venus au début du siècle d'Alméria en Espagne .L'ainée des filles  Isabelle faisait ses études à l'université et la benjamine Marie,  n'avait  que six ans. Les enfants avaient été scolarisés à l'école française et avaient acquis par la suite la nationalité française pour pouvoir poursuivre leurs études au lycée.Quant à moi j'étais l'ainé de deux garçons d'une commerçante et d'un commerçant tenant boutique dans le quartier de  Sidi El-Houari (Casbah, St-Louis, Vieux Port) : Madame et Monsieur Lanvin, avenue des Palmiers là ou vivait aussi Clara et tous les siens.

Nous allions tous les trois à la même école, nous étions des élèves en CM2 .Notre maitresse Madame Laurent était une jeune institutrice nommée pour l'année en Algérie .Elle venait de Nîmes . Elle avait demandé cette affectation car son fiancé avait été envoyé à Oran pour faire son service militaire . C'était une personne joyeuse jeune et très attirante. Aziz avait un peu  faible en français  . Moi j'étais  bon élève et surtout amoureux de Clara, de ses longues tresses brunes ,de ses yeux azur et de son sourire éclatant.

Les jeudis nous allions souvent rendre visite au grand père d'Aziz, Ibrahim qui avait un verger au-dessus des balcons de la mer. Il nous offrait des fruits gorgées de sucre et de soleil. Ce vieux monsieur était un conteur incomparable.C'est lui qui nous fit découvrir la culture berbère et algérienne en nous contant les contes locaux , les récits traditionnels , en nous récitant des poèmes.C'est de là que naitra ma passion future des mots, des récits, de la littérature orientale et occidentale .

Je me souviens de ses contes : de l'histoire du renard et de l’âne.L'âne s'était fait avoir par le rusé goupil .Ce dernier avait mangé les trois agneaux que l’âne portait sur son dos ..Et puis  cette histoire d'une gazelle d'or : un prince avait fait construire par un bijoutier une belle gazelle en or très grande qu'il offrit à la fille du sultan. Il se cacha à l'intérieur pour surprendre la princesse et connaître son secret.

-Dis Ibrahim le stratagème employé par le prince ressemble fort à celui qu' Ulysse employa à Troyes  : il avait fait construire un cheval en bois dans lequel les guerriers s'étaient cachés et à la nuit tombée, le soldats sortirent et purent ainsi prendre la ville  !

-Oui Mathieu souvent les légendes se ressemblent et se répètent en changeant les détails : les décors, les noms ,les pays, les personnages, les époques, les rites pour coller à la réalité locale … » !

Et puis il y avait aussi l' histoire de « la fille d'un paysan qui était  très intelligente .

Nous avions joué ce conte à l 'école pour la fin d'année . Clara jouait le rôle de la fille ingénue, Aziz celui du paysan et moi celui du Sultan.

Tant d'autres histoires raniment ma mémoire si bien contées par Ibrahim :  l'enfant serpent, le roi tisserand, le marchand et le génie, l'oiseau siffleur, le voleur du Djebel....

Après les « années bonheur« vinrent les « années malheur ».  .

La guerre éclata en Algérie et le peuple se divisa . Amis hier, ennemis aujourd'hui sans savoir pour quoi . Notre clientèle était très cosmopolite : tout le monde achetait des légumes des fruits..Du jour au lendemain, les européens boudèrent la boutique de mes parents qu'ils considéraient comme les amis des «  arabes » .

Aziz ne vint plus jouer avec moi et il ne nous conduisit plus chez son grand père Ibrahim.Les adultes avaient choisi leur camp mais pas les enfants !

Un jour , nous étions au bas de  notre porte Clara  et moi .Nous vîmes arriver le vieux Ibrahim tout essoufflé  accompagné de Aziz :

-Venez je vais vous conter une histoire !

Et sans qu'on ait eu le temps de dire oui ils nous saisirent tous les deux par le poignet et nous entrainèrent cinq cents mètres plus loin .Ils nous poussèrent dans une allée et dans un appartement .Quelques secondes après ,on entendit une énorme déflagration.

-Mes parents ! criai -je ça vient de notre quartier !

Je voulus y retourner .Ibrahim se dressa telle une citadelle !

-Tu ne bouges pas d'ici !

-Mes parents sont dans immeuble  ! pleura Clara.

-Je sais ! dit Ibrahim .Attendons un peu et Aziz ira voir .

Cette heure fut interminable . J'imaginais le pire, l'effroi.

Aziz se risqua et sortit .

-Si tu vois nos parents dis leur que nous sommes en sécurité  ! Criai-je.

Une demie heure plus tard Aziz était de retour rouge de sueur et de crainte.

-Alors ?

-Euh trois bombes ont été jetées sur l'immeuble !

- Nos parents ?

Aziz ne put rajouter autre chose .

-Parle ! Aziz je t'en supplie qu'as -tu vu ?

J'échappais à mes protecteurs et je courrais à perdre haleine jusqu'à mon quartier.Clara m'avait suivie.Là je tombais sur des amas de ruines fumantes, des brasiers, l'immeuble éventré, calciné, des cris  . L'horreur !

-Maman papa ! Hurlait Clara !

Un policier s 'approcha de nous :

-Vous aviez de la famille ici ?

-Nos parents nos frères et sœurs !

-Une famille n'a rien car elle s'était absentée mais sa boutique est détruite !

-Les Lanvin ?

-Oui c'est ça avec un garçon de six ans.Ils sont à l’hôpital.

-Et mes parents les Garcia , ils sont enseignants et ma jeune sœur ?

-Euh je crois qu 'ils sont blessés....

-Où les a t-on conduits ?

-A l’hôpital !

-J'y vais  !

-Attendez mademoiselle : votre sœur est là .....

Isabelle apparut le visage défait :

-Clara ?

- Les parents ?

-Allons ensemble à l’hôpital. Dit Isabelle.

A partir de cet instant je compris que l 'enfance était finie ..

Les nouvelles que je devais recevoir par la suite me plongèrent dans une tristesse immense : les parents de Clara étaient morts avec leur plus jeune fille .

Ce qui avait sauvé mes parents c'est que dix minutes avant l'attentat, après que j'ai quitté le quartier avec Ibrahim et Aziz , mon jeune frère s'était fait renverser par un vélo et mes parents avaient du le conduire à l’hôpital .Les blessures n'étaient pas graves mais il avait eu tout de même le bras cassé.

Puis les événements se précipitèrent . Quinze jours plus tard nous quittâmes Oran ,l'Algérie en feu . Aziz vint nous dire au revoir et nous donna un talisman porte bonheur que j'ai toujours gardé .Il pleurait, nous pleurions notre enfance trahie , notre paradis perdu .Nous savions que jamais plus nous ne serions réunis : ce n'était pas un « au revoir » mais un adieu .Nous pleurions les larmes du soleil .

Dans le bateau qui partait pour Marseille il y avait Clara et Isabelle la seule personne de sa famille qui lui restait encore.

Nous débarquâmes dans la ville phocéenne avec le peu de bagages sauvés . Nous ne devions jamais nous revoir, Clara, Aziz  et moi .

 

 

Tag(s) : #les larmes du soleil, #Conte
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